Vers un revenu garanti

Actualité du revenu garanti
par  J.-P. MON
Mise en ligne : 7 janvier 2006

Alors que l’allocation universelle n’a généralement pas bonne presse en France, ni à gauche, ni à droite, son instauration est très débattue dans de nombreux pays. Et elle gagne du terrain :

Le calendrier de réunions, discussions, publications et études en diverses langues dont rend compte régulièrement l’association BIEN [1] (que nous avons contribué à créer en 1986 et dont nous avons souvent parlé dans ces colonnes) témoigne de l’intérêt grandissant manifesté hors de France pour ces propositions.

 Un réseau très actif

Au cours de l’année 2005, par exemple, le 4ème congrès du réseau américain BIEN a débattu à New-York, du 4 au 6 Mars, du droit à la sécurité économique ; le 25 avril, le réseau argentin a été présenté publiquement à Buenos Aires ; du 7 au 9 octobre, s’est tenu à Vienne le congrès national du réseau autrichien ; les 20 et 21 octobre, le 5ème symposium sur le revenu de base a eu lieu à Valence, en Espagne ; puis à Barcelone, pendant deux semaines, du 2 au 17 novembre, se sont déroulés des séminaires sur la “Charte des nouveaux droits humains” ; le réseau argentin BIEN a tenu son congrès national, de nouveau à Buenos Aires, le 5 novembre ; trois semaines avant celui, à Berlin, du réseau allemand ; enfin le 12 décembre, une conférence-débat sur le revenu de base de citoyenneté était organisée à Barcelone.

Le congrès de Vienne mérite d’être souligné, d’abord parce qu’il présente la spécificité d’avoir été organisé à la fois par le réseau BIEN autrichien, par le réseau BIEN allemand, par les Verts, par Attac-Autriche et par Attac-Allemagne, collaboration qui surprendrait bien des membres d’Attac-France ...s’ils le savaient !

Venant surtout d’Autriche, d’Allemagne et de Suisse, plus de 300 personnes ont été ainsi rassemblées pendant deux jours pleins, y compris en soirées dans de célèbres cafés de Vienne transformés en cafés philosophiques.

La coordinatrice du congrès, Margit Appel, souligna dans son introduction les vertus libératrices du revenu garanti, spécialement pour les femmes : elle montra que le progrès technologique permet de supprimer graduellement du travail humain, et que puisque la notion de “plein emploi” n’est désormais plus viable, il faut instaurer un revenu de base inconditionnel le plus élevé possible. Puis Harold Rhein, du syndicat des chômeurs allemands, expliqua comment l’idée de revenu de base était apparue dans le débat public allemand comme une alternative au plein emploi.

Tant au cours des sessions plénières que pendant les sessions parallèles, ce congrès n’a pas masqué quelques questions épineuses récurrentes telles que : « pourquoi les syndicats n’appuient-ils pas cette proposition qui, au moins à première vue, semble renforcer leur pouvoir de négociation ? » ou bien : « y a-t-il un risque que des personnes non employées voient dans l’attribution d’un revenu de base inconditionnel la preuve que la société n’a pas besoin d’eux ? »

Soulignons d’autres nouveautés. D’abord la vitesse avec laquelle s’est répandue, très récemment, en Allemagne et en Autriche, l’idée d’un revenu de base inconditionnel. Puis le fait qu’aux élections de septembre 2005 trois militants de BIEN (dont la fondatrice du réseau allemand) ont été élus au Parlement fédéral. Ensuite que ce congrès a vu la participation très active des représentants des mouvements de chômeurs. Enfin que les presses nationales autrichienne et allemande en ont fait de bons comptes-rendus : le quotidien autrichien Die Presse lui a consacré deux pages, et son titre de Une rapportait les propos suivants du maire socialiste de Vienne : « après les prochaines élections municipales (imminentes), je confirmerai mon grand intérêt pour un système de revenu de base inconditionnel, parce que les systèmes actuels d’assistance sociale, familiale, etc. sont opaques, ce ne sont que des relents d’un caritatisme dépassé ».

Les militants de BIEN ne se bornent plus à débattre, en spécialistes, dans leurs congrès, des mérites d’un revenu de base. Maintenant ils recourent aussi à des actions politiques. Par exemple, au Brésil, début 2004, à l’initiative du sénateur E. Suplicy (devenu vice-président de BIEN), le président Lula a promulgué la loi n°10.835 instituant un revenu de base de citoyenneté. Elle devait commencer à être mise en application au cours de l’année 2005, mais à notre connaissance, ce ne fut pas le cas...

En Catalogne, trois députés (Gauche Républicaine catalane, Vert, et Parti socialiste ouvrier de Catalogne) ont déposé au Parlement Espagnol, en février 2005, un projet de loi instaurant un revenu de base. Il n’a pas encore été débattu.

Et en France ?... Un quotidien, Libération, a publié le 10 novembre dernier un numéro spécial intitulé “Trente idées pour réveiller la gauche” dans lequel, après une introduction par P. Van Parijs, un débat s’ouvrait sur le revenu de base tel que le proposent d’une part Yoland Bresson [2] et, d’autre part Yann Moulier-Boutang [3] qui, plus sérieusement, estime que son montant devrait être au moins de 1.000 euros.

Hors de France, de nombreuses publications tournent autour de ce sujet. Citons le fascicule publié par Attac-Allemagne sous le titre Un revenu de base inconditionnel et destiné à animer le débat dans la gauche allemande (devenue très réceptive à cette idée) ; et surtout l’article [4] particulièrement intéressant de Jean-Marc Ferry, professeur à l’université libre de Bruxelles.

 Au delà du revenu de base

J-M Ferry défend le principe d’inconditionnalité du droit à un revenu de base universel, qu’il appelle Revenu primaire inconditionnel (RPI). Il montre que ce revenu viendrait même renforcer le droit au travail en favorisant le développement d’un secteur quaternaire d’activités autonomes et personnelles.

D’un point de vue systématique, il justifie d’abord le financement de ce RPI au regard du passé par le fait que le capital accumulé par le travail des générations antérieures procure un “avantage de civilisation”, avantage immense dont le bénéfice revient à tous, et sûrement pas aux seuls actifs. Il serait donc logique à son avis que le RPI soit financé par un prélèvement sur les entreprises, puisque pour celles-ci le RPI est une manne sans laquelle elles seraient privées d’un débouché intérieur garanti.

Et il justifie aussi le financement du RPI au regard de l’avenir : car par ce versement le système économique ne rembourse pas une dette, il ouvre plutôt un crédit. Le RPI ne doit pas être vu seulement comme un revenu social mais aussi comme un investissement économique pour l’essor d’un secteur quaternaire d’activités.

J-M Ferry précise en effet qu’il ne milite pas pour le RPI “en soi”, mais avec des objectifs d’intégration et de participation, qui devraient se concrétiser dans un secteur d’activités dites “quaternaires”, c’est-à-dire dans des activités qui peuvent tout aussi bien relever de l’agriculture, de l’industrie ou des services, que de l’artisanat ou du commerce de détail.

Mais pour que ce double objectif soit atteint, le simple versement d’une allocation universelle comme revenu de citoyenneté ne suffit pas, il faut en plus un puissant accompagnement politique.

Il va même plus loin en affirmant que l’instauration d’un revenu primaire inconditionnel ne servirait à rien sans une lutte énergique contre l’illettrisme, au sens large. Il pense qu’une telle nouveauté ne peut pas réussir sans la sauvegarde de ce “fonds propre” que sont les ressources culturelles de la société. À ses yeux l’éducation constitue donc la base première, absolument nécessaire, mais il faut y ajouter une mise en “service social” des nouvelles technologies, celles qui composent la “société de l’information”, afin que les expériences nouvelles servent aussi à l’apprentissage social.

 Un grand pas en avant

Un peu dans le même ordre d’idées Jacques Attali et Vincent Champain viennent de publier une étude [5] dans laquelle ils proposent de reconnaître que « se former et chercher un emploi constituent une activité socialement utile qui mérite un statut sous la forme d’un contrat d’évolution avec tous les attributs d’un contrat de travail : rémunération, protection sociale, encadrement et débouché professionnel ». Selon ces auteurs, le nombre réel de chômeurs n’était pas de 2,4 millions (en juin 2005), comme prétendent les statistiques officielles, mais s‘élevait à 4,6 millions, comme ils le démontrent, il faudrait donc un quart de siècle pour parvenir au plein emploi avec les mesures actuelles.

Alors que « considérer la recherche d’emploi comme une activité reviendrait à supprimer le chômage, c’est-à-dire à fournir à chaque demandeur un employeur qui ait la charge d’encadrer sa démarche et de rémunérer son activité - travail, formation, recherche ou création d’emploi [...] La création de ce contrat entraînerait un changement en profondeur de nos politiques sociales en permettant de supprimer le chômage en cinq ans. Son coût ne dépasserait pas celui des programmes récents de baisses d’impôts, avec un effet nettement plus dynamique sur le pouvoir d’achat, la croissance, le niveau de qualification, d’innovation et de cohésion sociale ».

Cette proposition d’Attali et Champain consiste finalement à faire assurer le rôle “d’employeur en dernier ressort” à la collectivité, c’est-à-dire à pousser la société à prendre à sa charge les conséquences de ses propres dysfonctionnements (ici le chômage), plutôt que les laisser à la charge des individus.


[1BIEN = Basic Income Earth Network. Notons que, confirmant son récent caractère mondial, le prochain Congrès de BIEN se tiendra au Cap, en Afrique du Sud, du 2 au 4 novembre 2006.

[2comme si Y. Bresson allait au secours de la gauche... ! ! Voir GR 1048, novembre 2004, p.6.

[3Y. Moulier-Boutang, est professeur à l’Université de Bretagne Sud, et directeur de la revue Multitudes.

[4“Le principe redistributif en question : instaurer un droit au revenu” Sécurité sociale CHSS 4/2005, “Justice sociale, éthique et pratique”, Office fédéral des assurances sociales Berne, juillet 2005, pp.197-205.

[5“Activité, emploi et recherche d’emploi : changer de paragdime pour supprimer le chômage”, note électronique de la Fondation Jean Jaurès n°15.


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