Mettez du sang dans votre moteur !

Campagnes d’intoxication et dérives sémantiques.
par  D. GUILLET
Mise en ligne : 31 octobre 2007

L’exploitation des terres agricoles pour y faire pousser des plantes telles que maïs, blé ou canne à sucre afin de les transformer en éthanol est une aberration, à tous points de vue. L’Association Kokopelli [*] l’a bien compris, comme le prouve l’analyse qui suit, d’après Dominique Guillet. :

Une partie du dernier Salon de l’Agriculture était transformée en Salon de l’Automobile. Ils étaient tous là, Peugeot, Ford, Renault, etc. Avec des petites fleurs peintes sur les portières des voitures, ils clamaient haut et fort qu’ils vont sauver la planète avec l’éthanol et les huiles de colza. Les grands pièges de la sémantique pour endormir le peuple étaient de sortie : biodiesels, biocarburants, or vert, carburants verts, « le carburant qui voit la vie en vert ». Plus l’intoxication est grosse, mieux elle passe !

L’attribution du terme “bio” pour les nécro-carburants gagne rapidement du terrain. « Volvo fera du sport bio » ! « Ford et Europcar roulent pour le bio ! », Saab se décrit comme « 300 chevaux écologiques » et a pris comme logo « Les forces de la nature auront toujours besoin de s’exprimer. Libérons-les. » Certaines voitures roulant au carburant végétal ont même la mention “bio” peinte sur leur carrosserie. Les rallyes deviennent “bios”, les voitures et les pneus, “écolos”. C’est la “passion verte”. Double langage et inversion des valeurs, quelle perte de sens !

Mais pour l’agriculture bio, c’est le coup de grâce, d’autant plus que la pression des lobbies à Bruxelles cherche à imposer une agriculture bio de « seconde génération » avec une pincée de pesticides par-ci et une demi-pincée de chimères génétiques par-là ! Les cahiers de charge de l’agro-bio sont en passe de devenir des cahiers de décharge !

En réalité, les carburants végétaux ne sont pas bios du tout : ils sont issus de plantes cultivées avec toute l’artillerie lourde des intrants de l’agro-chimie et ses pesticides et par des processus d’extraction industrielle très complexes. C’est bien plutôt de « nécrocarburants » qu’il s’agit, et c’est de « nécroéthanol » et de « nécrodiesel » qu’il faudrait parler, car ce préfixe nécro, qui signifie mort, est celui qui qualifie le mieux les aspects techniques, écologiques et humains de cette sinistre farce.

Les carburants végétaux vont accroître l’immense tragédie de la sous-nutrition, de la mort de faim, de la misère sociale, du déplacement des populations, de la déforestation, de l’érosion des sols, de la désertification, de la pénurie en eau, etc.

Les grands groupes pétroliers se sont alliés aux grands groupes de l’agro-alimentaire, de l’agro-chimie et aux semenciers pour lancer cette grotesque mystification du citoyen visant à lui faire croire, pour le tranquilliser, que les carburants végétaux ne représentent aucune « concurrence pour les filières alimentaires ». Ce n’est pourtant pas une tâche aisée, surtout si le dit citoyen découvre l’ouvrage passionnant de Nicolino et de Veillerette : « Pesticides : révélations sur un scandale français ». Mais quels seront les courageux journalistes qui vont se lancer dans la rédaction d’un ouvrage qui serait intitulé « Carburants végétaux : révélations sur un scandale mondial » ?

 Bilan négatif de l’éthanol

En allant filmer des usines de production d’éthanol à Goldfield et Nevada dans l’Iowa (États-Unis), nous avons pu obtenir des chiffres précis quant au bilan énergétique de ce carburant végétal :

L’usine de Goldfield transforme tous les ans 450.000 tonnes de maïs pour produire 190 millions de litres d’éthanol. Pour ce faire, elle brûle tous les jours 300 tonnes de charbon (qui arrivent de loin par camion) et elle relâche benoîtement du CO2 dans l’atmosphère. Bilan (provisoire) d’une telle centrale : pour produire un litre d’éthanol, il faut transformer 2,37 kilos de maïs, brûler 500 grammes de charbon et utiliser 4 litres d’eau.

Il est question de faire tourner les centrales d’éthanol au bois, pour remplacer le charbon, les forêts qui brûleront ainsi étant à des milliers de kilomètres. Et ce sont 200 centrales de ce type qui se profilent à l’horizon aux USA.

Le Professeur Pimentel, de l’Université de Cornell (Ithaca, New-York) a pourtant prouvé, et depuis de nombreuses années, que le bilan énergétique basique de la production d’éthanol est complètement négatif : le carburant végétal réchauffe davantage la planète que l’essence !

 La facture cachée

Et le bilan serait encore plus indécent si on tenait compte du fait que la production de maïs a un coût réel en intrants, pesticides, et travail, sans parler de l’amortissement du matériel. Les agro-carburants vont donc accélérer la destruction des écosystèmes en répandant encore plus d’intrants et de pesticides dans les sols, dans l’atmosphère et dans les eaux. Un litre d’éthanol entraîne l’érosion, c’est-à-dire la disparition pure et simple de 15 à 25 kg de sol. Quant à l’eau, et c’est peut-être le comble : il faut, selon les régions, de 500 à 1500 litres d’eau pour produire un kilo de maïs, ce qui signifie que la production d’un litre d’éthanol à base de maïs requiert l’utilisation de 1.200 à 3.600 litres d’eau ! Alors qu’on sait que le manque d’assainissement est tel que 1,3 milliards d’humains n’ont pas accès à l’eau potable et qu’en moyenne 3.800 enfants meurent, chaque jour, de maladies liées à ce manque.

Rappelons, au passage, que l’agriculture, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, consomme 90 % de l’eau douce du monde.

Une entreprise française affirme être le leader européen dans la production d’éthanol. Vive la France pionnière qui s’engage résolument dans cette lilière si prometteuse ! Le leader français de l’éthanol serait le sucrier Tereos, qui aurait obtenu 31 % des agréments français pour la production d’éthanol de betterave et de blé. Cette société a ouvert en 2006 une distillerie de 3 millions d’hectolitres, située dans l’Aisne, 90 millions d’euros ont été investis pour traiter 3 millions de tonnes de betteraves provenant de près de 40.000 hectares cultivés par 10.000 agriculteurs. Elle a investi 130 millions d’euros dans une autre ethanolerie dans la Marne (ouverte en avril 2007) qui transformera 840.000 tonnes de blé pour produire 3 millions d’hectolitres d’éthanol. En Europe, elle se propose d’acheter quatre usines ce qui lui permettrait de transformer en plus 2,6 millions de tonnes de blé et de maïs. En République Tchèque, Tereos a ouvert une seconde distillerie d’éthanol de betteraves à Dobrovice en octobre 2006 et prévoit l’ouverture d’une troisième. En Afrique, elle a pris des participations dans des entreprises sucrières (c’est la première fois qu’une entreprise européenne sucrière s’implante en Afrique continentale). En Amérique du sud, elle est devenue, en 2006, le 3ème producteur de sucre au Brésil, où elle va traiter 7 millions de tonnes en 2007 et envisage d’y traiter 18 millions de tonnes de canne à sucre en 2012.

Tereos annonce ainsi une augmentation de 84 % de ses résultats pour l’année 2006. Comme les cours du sucre sont en train de flamber, à cause de l’éthanol, elle se dit tentée par la Bourse car les fonds d’investissement seraient très gourmands de sucre ! C’est vraiment de l’or vert, cet éthanol !

 Ethanol et crises alimentaires

Il y a quelques années, au Guatemala et au Mexique, les paysans ont cessé de produire leurs maïs traditionnels à cause du « dumping » de maïs OGM en provenance des USA : cela leur revenait moins cher d’acheter la tortilla (leur aliment traditionnel à base de maïs) industrielle que de cultiver la « milpa ». Mais la situation a changé : aujourd’hui les USA gardent leur maïs dont 20 % de la récolte sont transformés en éthanol. Alors au Guatemala le prix de la tortilla a augmenté de 80 %. La situation est identique au Mexique où l’augmentation de 40 à 100 % du prix de la tortilla entraîne de sérieuses émeutes.

Dopés par une récolte très médiocre et une demande croissante d’éthanol, les cours du maïs sont en train de flamber. Aux USA, ils ont atteint, début mars 2007, leur plus haut niveau depuis plus de dix ans, en 15 mois, le prix du maïs a augmenté de 115 %. On commence à y évoquer une crise alimentaire parce que l’augmentation du prix des céréales a des effets multiples. Par exemple, le coût d’un poulet est constitué à 40 % par le prix du maïs. Les prix augmentent parce que l’offre baisse, parce que la demande s’accroît (en raison de la production d’éthanol) et parce que certains aléas climatiques sont en train de semer le chaos dans l’agriculture ! Les productions mondiales diminuent, celle du maïs de 3 %, celle du blé de 6 %, atteignant même 55 % en Australie à cause de la sécheresse.

Et les multinationales et les gouvernements voudraient nous faire croire que les agro-carburants ne représentent aucune « concurrence pour les filières alimentaires » ?

 Ethanol de la honte

… Au Brésil, premier producteur mondial d’éthanol, G.W. Bush vient de signer une alliance historique avec le Président Lula (qui parle d’une « révolution de l’énergie ») pour lancer une « OPEP de l’éthanol ». Les industriels se frottent les mains et prévoient une augmentation de 55 % des surfaces de canne à sucre pour répondre à la demande US et Européenne. Les forêts vont être encore plus détruites pour cultiver du soja transgénique, de la canne à sucre ou du palmier à huile pour la production d’éthanol ou de diesel végétal pour les riches.

Dans ce pays, la production d’éthanol a été mise en place dans les années 1970 sous la dictature militaire. Certaines organisations parlent de catastrophe humanitaire et d’esclavagisme, car quelque 200.000 migrants y coupent à la machette la canne à sucre, 12 heures par jour, dans des conditions de température torride et pour un salaire de misère. La nuit, ils sont entassés dans des baraquements sordides. Tous les ans, des migrants-esclaves meurent de chaleur et d’épuisement. Ce sont les dommages collatéraux de la fièvre de “l’or vert” : un migrant-esclave dans les monocultures de canne à sucre n’est que de la chair à éthanol, son prix ne figure pas dans les tableaux d’amortissements !

L’Amérique latine constitue un énorme gisement pour la spéculation éthanolesque. Olivier Combastet, le banquier français qui a lancé le fonds d’investissement Pergam Finance, a vu que « les centaines d’hectares de maïs et de soja disponibles, par exemple en Uruguay, sont autant de barils dormants de carburant vert du style éthanol dont la demande mondiale devrait exploser dans les années qui viennent ».

Alors tous les grands princes de la pétrochimie et de la finance “carburent vers” l’Amérique Latine pour réveiller la « Belle aux barils dormants » ! Les experts estiment de 15 à 20 millions d’hectares les surfaces agricoles qui y sont disponibles à l’achat. La BNP a bien compris l’affaire très juteuse que cet éthanol représente, puisqu’elle déclare que « les matières premières agricoles sont des actifs extrêmement peu chers, pour lesquels la demande est en train d’exploser et pour lesquels l’offre s’affaiblira. Leur situation aujourd’hui est similaire à celle du gaz naturel en 2000 : triplement des cours suite à un hiver très froid et une sécheresse qui avait réduit la capacité hydroélectrique ».

Le scandale de la culture du palmier à huile en Indonésie vient récemment d’être dénoncé par la primatologue Emmanuelle Grundmann dans son livre « Ces forêts qu’on assassine » aux Editions Calmann-Lévy. Selon les Amis de la Terre « En Indonésie, le gouvernement prévoit de détruire 16,5 millions d’hectares de forêt tropicale pour planter des palmiers à huile ! En Malaisie, ce sont 6 millions d’hectares. À Sumatra et Bornéo, quelques 4 millions d’hectares de forêts ont été convertis en plantations de palmiers à huile. Même le fameux Parc National de Tanjung Puting au Kalimantan a été mis en pièce par des planteurs. Des milliers d’habitants de ces régions ont été expulsés de leurs terres et près de 500 Indonésiens ont été torturés lorsqu’ils tentèrent de résister. Toute la région est en train de devenir un immense champ de “pétrole végétal ».

 Le totalitarisme éthanolien

Qui sont les grands humanitaires totalitaires qui font transpirer sang et eau pour lutter contre le réchauffement climatique ?

La société pétrolière BP vient de s’associer à la société de la chimie et de biotechnologie DuPont de Nemours afin de développer une nouvelle génération de carburant végétal. DuPont est actuellement la quatrième multinationale de l’agro-chimie. Toyota s’est allié avec BP pour produire de l’éthanol au Canada à partir de la cellulose extraite des déchets. Volkswagen a signé un accord avec la multinationale de l’alimentation ADM. Shell développe une deuxième génération d’agro-carburants et fait des essais de raffinage d’éthanol à partir de lignine et de cellulose. Cargill, la grande multinationale de l’agro-alimentaire, s’est lancé dans la production de diesels végétaux. Etc, etc...

Et les responsables gouvernementaux osent nous vanter « l’indépendance énergétique » des carburants végétaux ? Les grands gagnants de cette arnaque agricole du siècle sont bien sûr les multinationales “transgéniques”. Elles sont en train de tester des variétés conçues spécifiquement pour la production d’agro-carburants. Aux USA, 70 % du maïs et du soja sont modifiés génétiquement. Monsanto détient le contrôle absolu en Amérique du sud, avec son soja transgénique ; cette société développe un maïs uniquement destiné à la production de carburant végétal dans un laboratoire détenu par Lockheed Martin.

De même pour Syngenta qui a mis au point un enzyme alpha-amilase exprimé dans le maïs 3272 et qui est considéré comme un allergène important. Que va t-il se passer si les gènes qui le synthétisent réussissent à s’introduire dans la chaîne alimentaire ?

Au Brésil, la canne à sucre transgénique est dans l’air du temps. La société “Centro para la Tecnología de la Caña » (la CTC, localisée à Piracicaba) a obtenu de la Commission de “Biosécurité”, en mars dernier, l’autorisation de faire en plein champ des essais d’une variété de canne à sucre génétiquement modifiée, qui serait capable de produire 15 % de plus de sucre. Selon la compagnie Brésilienne, cette variété a déjà fait l’objet de tests intensifs en milieu confiné. La CTC attend l’aval pour deux autres variétés chimériques, elle envisage de poursuivre ses tests intensifs en plein champ pendant quelques années et d’introduire sur le marché ses cannes à sucre chimériques en 2010. Une autre société Brésilienne “Allelyx” attend l’aval de la commission pour plusieurs variétés transgéniques ; une autre encore, “Embrapa”, vient également de se déclarer très intéressée. Monsanto se serait déjà associé à deux sociétés brésiliennes pour lancer de la canne à sucre transgénique sur le marché, son porte-parole a déclaré que « il y a des études de développement, parce que c’est un marché intéressant, mais rien de spécifique pour l’instant ... et rien d’officiel pour l’instant ». Pas d’illusion, cela fait sans doute dix ans qu’ils bricolent des chimères de canne à sucre dans leurs laboratoires. Lorsque ce sera officiel, les consommateurs seront mis devant le fait accompli. Nul besoin de consulter l’Oracle pour voir le danger des chimères génétiques resurgir sournoisement au détour des carburants végétaux.

Avec la folie des carburants végétaux, nous assistons à une terrifiante et peut-être ultime concentration des grands capitaux entre l’agro-chimie, les nécro-technologies, l’agro-alimentaire et les sociétés pétrolières, avec la complicité bienveillante des États.

S’il est plus profitable de produire des carburants végétaux que des aliments, le grand capital s’orientera vers les carburants végétaux.

Après avoir œuvré, pendant des dizaines d’années, à transformer cette belle planète en poubelle agricole et industrielle, le capital, mû par une inspiration soudaine et quasi-mystique, brandit, avec la complicité des gouvernements et de certains medias complaisants, le spectre des bouleversements climatiques, et dans sa grande mansuétude, il nous propose les carburants verts pour sauver la planète.

On ne peut que répéter que l’objectif des entreprises capitalistes n’est pas de produire des aliments, ou des carburants végétaux, ou de l’information : il est de produire de l’argent, des bénéfices.
Point.


[*L’Association Kokopelli a été créée, durant le printemps 1999, pour reprendre le flambeau de Terre de Semences qui œuvrait, depuis 1994, à la protection de la biodiversité et à la production et distribution de semences issues de l’agriculture biologique et biodynamique.

Pour avoir le texte complet de Dominique Guillet, voir sur le net à l’adresse : www.kokopelli.asso.fr/actu/new_news.

Pour trouver d’autres informations sur le même sujet, voir aussi : www.sinpermiso.info/textos/index.php?id=1119


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