1951 Economie politique de l’abondance


Publication : octobre 1978
Mise en ligne : 14 octobre 2006

Dans cette étude,, Jacques Duboin passe au fil du rasoir les plus grandes théories économiques : Quesnay, Adam Smith, Ricardo, J.-B. Say. Puis il analyse les trois facteurs traditionnels de la production Terre, Travail et Capital et leur combinaison, la libre entreprise, la loi de l’offre et de la demande, la concurrence :

...SOUVENT la concurrence a provoqué la détérioration des produits et donné naissance à la camelote. C’est que chaque concurrent, pour soutenir la lutte sur le Marché, est dangereusement tenté de substituer des matières premières de qualité inférieure à vil prix à des matières premières de qualité supérieure mais plus chères. La falsification d’un grand nombre de produits a fait d’aussi remarquables progrès que la productivité. C’est devenu une véritable science plus hermétique que les autres, car on préfère n’en pas faire trop l’étalage. Comme il faudrait plusieurs chapitres sans épuiser le sujet, il est plus simple de les résumer tous dans l’histoire des rasoirs mécaniques, car on y trouve réunis tous les moyens employés dans la « libre entreprise » dans sa poursuite du Profit. Je me garde d’inventer quoi que ce soit ; cet exposé a fait d’objet d’une étude parue dans un livre américain : Technocracy Study Course (page 163 et la suite), qu’il est facile de se procurer pour vérifier que je n’ai fait que raccourcir le récit. J’ajoute qu’on trouverait des exemples presque aussi complets dans nombre d’industries, en particulier dans celle des ampoules électriques. C’est qu’hélas ! la qualité de ses produits nuisant souvent à la rentabilité d’une entreprise, il existe un degré de perfection qu’il est sage de ne pas dépasser.

Peut-être avez-vous connu les grands rasoirs d’autrefois : ils se composaient d’une forte lame d’acier articulée sur un manche, en bois. La qualité de l’acier était si bonne que certains usagers ont pu se servir du même rasoir de leur première barbe jusqu’à la mort. Malheureusement, un article qui dure si longtemps manque bientôt de débouchés. Quand tous les mâles en ont été pourvus, on ne peut plus guère compter que sur une maladresse de l’un d’eux pour espérer remplacer-une lame ébréchée. Comment augmenter le chiffre d’affaires ? La « libre entreprise » résolut le problème de la manière suivante : elle eut l’idée géniale de fabriquer un appareil métallique et léger auquel le client serait obligé d’adjoindre une lame très mince qu’il aurait à renouveler souvent. On baptisa l’ensemble du nom de rasoir mécanique ou rasoir de sûreté.

Restait à décide les consommateurs à mettre leur antique rasoir au rancart et à le remplacer par le nouveau. Une publicité intelligente s’en chargea en utilisant le slogan : « Se raser devient un plaisir ! ». En peu de temps, tous les Américains en âge de se raser se laissèrent séduire, après quoi on prospecta les pays étrangers où l’appareil connut la même vogue. L’affaire était splendide. En effet, avec chaque rasoir, la « libre entreprise » vendait un paquet de dix petites lames dont, chacune durait, en moyenne, un mois ; en sorte que, dix mois plus tard, le client devait renouveler sa provision. Au lieu d’acquérir une forte lame dont il pouvait se servir pendant trente ans, l’usager achetait 360 lames très minces dans le même laps de temps.

Et pourtant, malgré cette multiplication exceptionnelle des ventes, le chiffre d’affaires plafonna.

La « libre entreprise » ne tarda pas à en démêler la raison : c’est que les lames duraient trop longtemps. Comme elle avait gagné beaucoup d’argent, son bureau d’études recruta d’éminents aciéristes auxquels on posa la question : que faire pour que les lames s’usent plus vite ? Aucun problème technique n’étant insoluble, ces experts eurent vite fait de le résoudre ; ils mirent au point un nouvel acier dont la qualité répondait aux exigences requises : quand la lame avait servi quatre ou cinq fois, elle devenait inutilisable ; elle se brisait ou ne rasait plus.

On devine que le succès dépassa les prévisions le chiffre d’affaires se trouvait multiplié près de cinq fois sans qu’on ait eu à changer le prix de vente ! A ce moment-là, la société Gillette (pourquoi ne pas lui faire une petite réclame de plus ?) connut une folle prospérité. Non seulement elle put distribuer de copieux dividendes et constituer d’importantes réserves, mais, ainsi que la loi américaine l’autorise, elle distribua fréquemment des actions gratuites à ses heureux actionnaires dont capital et dividendes augmentaient sans avoir un dollar à verser.

Cette euphorie ne dura pas. Hélas ! des concurrents surgirent de tous côtés, car il leur suffisait de fabriquer des lames capables d’être utilisées un peu plus longtemps pour qu’on les préférât aux Gillettes. De plus, ils étaient assez vicieux pour en aviser la clientèle. Le coup était régulier, mais la « libre entreprise » le para. Un beau matin, les clients s’aperçurent que les lames des concurrents ne duraient pas plus longtemps que les Gillettes, ce qui incita les curieux à examiner soigneusement les paquets qui enveloppaient les lames. L’empaquetage était toujours le même et portait toujours le nom de l’heureux concurrent, mais la marque de fabrique avait changé : c’était maintenant celle de la lame Gillette ! Sans contestation possible, les lames sortaient des usines de cette firme. Ainsi la « libre entreprise » avait absorbé ses concurrents, opération que l’opulence de ses réserves avait rendu facile...

...Elevons maintenant le débat. Si la course au profit présente beaucoup d’inconvénients, le concept du profit est-il juste et équitable ? En un mot, est-il légitime ? Sans aucun doute, répond l’homme de la rue, car, sans ce stimulant, tout le monde se croiserait les bras. Reste à savoir si on les croiserait longtemps sans mourir de faim. Mais la question n’est pas là pour l’instant ; avant d’aller plus loin, il convient de dissiper une équivoque quel sens donnez-vous au mot Profit ? Il est incontestable que l’Entrepreneur a droit à une rémunération pour le travail à la fois dur et compliqué qu’il fournit.. Quand cette rémunération est inscrite dans le prix de revient, elle représente en quelque sorte un salaire patronal, aussi légitime que tous les autres salaires. Mais le Profit n’est pas cela c’est la différence entre le prix de revient et le prix de vente. Or, le prix de vente dépendant du Marché, l’Entrepreneur s’arrange pour qu’il soit aussi haut que possible, car plus grandit la différence plus augmente le Profit. Au chapitre de I’Echange, nous verrons que l’Entrepreneur, cédant un produit plus cher qu’il ne lui a coûté, reçoit en définitive plus qu’il ne donne. Mais que personne’ ne s’indigne, car si l’on ne recevait jamais que l’équivalent de ce que l’on fournit, aucune fortuné’ un peu importante n’aurait jamais pu s’édifier : Enrichissez-vous ! s’écriait Guizot, résumant en deux mots tout son programme économique. Mais est-il vraiment équitable que l’Entrepreneur garde tout le profit pour lui. Sans doute puisqu’il a couru des risques, va-t-on vite nous répondre. Si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que l’Entrepreneur ne garde le profit pour lui qu’autant qu’il â personnellement apporté les capitaux. Dans le cas contraire, ce sont les capitaux - en l’espèce les capitalistes - qui s’approprient la plus grosse part du Profit. Alors je demande si c’est juste encore ?

Reconnaissons que cette manière de faire est logique quand il s’agit de l’artisan propriétaire de ses outils, seul à entreprendre et à exécuter ; mais on l’a étendue à l’entrepreneur moderne fort loin d’être un artisan, sauf peut-être de sa fortune ;. On l’a étendue à qui fournit les capitaux et qui, personnellement, n’accomplit souvent aucun travail. Or, l’entreprise est une conjugaison d’efforts multiples fournis souvent par des travailleurs de tous genres. On comprend mal que le résultat de tous ces efforts soit accaparé par un seul des participants, en particulier par le capitaliste dont toute la peine a consisté quelquefois à faire choix d’un bon placement. En d’autres termes, est-il juste que le Capital s’approprie le produit net cher aux physiocrates et qu’ils n’apercevaient que dans l’Agriculture ?

A cela on répond que les travailleurs ayant reçu leur salaire, le Capital est quitte envers eux. Mais le salaire étant fixé par la loi de l’offre et de la demande, il a une fâcheuse tendance à se rapprocher maintenant du minimum vital qui permet tout juste aux salariés de vivre. Or, quand l’entreprise prend de l’extension, le personnel y contribue certainement pour une bonne part ; n’est-il pas vrai ? Alors pourquoi n’en bénéficie-t-il pas ?..

(Extraits de « Economie Politique de l’Abondance »)

En économie distributive, c’est le plein emploi des machines qu’on réalise. Elles travaillent au maximum, car elles n’ont pas besoin du repos des travailleurs. Le peu de travail humain encore nécessaire doit être divisé entre tous les hommes sous forme d’un service social.

J. DUBOIN

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