À Madame Royal et à quelques autres candidats à la candidature...

Tribune libre
par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 3 juillet 2006

Le Parti Socialiste a diffusé son projet qui n’est pas encore une charte gouvernementale et encore moins une réitération de l’ex-Programme commun de la Gauche.

Tout au plus édicte-t-il quelques orientations en forme de socle commun de réflexion auquel devront se référer les nombreux candidats à la candidature du Parti Socialiste.

D’autres contributions viendront sans doute s’y ajouter, telles les réflexions du Parti Communiste Français, des Écologistes, des militants de l’ultra-gauche et autres altermondialistes, rassemblés, par delà les divisions sur la marche à suivre.

Une préoccupation commune relie tous ces aspirants de gauche et du centre à la magistrature suprême : éviter de se retrouver dans la situation peu enviable qu’ils ont dû affronter à la précédente échéance, en avril 2002, où le second tour avait embrayé directement sur l’extrême droite et contraint les électeurs de gauche à voter massivement pour le candidat de la majorité de droite.

Mais l’Histoire se répète rarement selon le même schéma.

Aujourd’hui, si l’on se fie aux sondages (mais sont-ils crédibles, ou n’apparaissent-ils que comme une photographie de l’instant), une candidate se détache nettement dans le peloton de tête, à savoir Madame Ségolène Royal. Elle demeure volontairement dans le flou, y compris en matière de politique internationale, mais décoche quelques flèches en direction de son parti en n’hésitant pas à évoquer « la souffrance » des citoyens au regard des difficultés de leur vie quotidienne, de l’augmentation du coût de la vie non compensée par des hausses de salaires ou de retraite, y compris dans le cadre de la loi sur les 35 heures. Elle met en exergue les problèmes d’insécurité. En bref, elle ose énoncer tout haut ce qu’une grande majorité de citoyens pense tout bas et voit sa cote de popularité monter dans les sondages, en partie grâce à cette liberté de ton.

J’aimerais poser à Madame Royal quelques questions qui concernent l’existence quotidienne de ces millions de gens « qui souffrent » et qui ont le sentiment de n’être pas entendus et encore moins écoutés par ce qu’un ancien Premier ministre avait qualifié de « microcosme politique ».

 Une prise de conscience

On sait qu’aujourd’hui, le travail, considéré comme un tout, n’est plus ce qu’il était il y a encore un demi-siècle, qu’étant encore perçu par le plus grand nombre comme une contribution citoyenne à la vie en société, il a évolué vers la précarité contrainte, engendré des inégalités de traitement et de revenus. D’où la disparité croissante entre les modalités d’un emploi, qui s’effiloche, et dont la valeur au sein des entreprises se déprécie, et des revenus tirés vers le haut d’une manière scandaleuse en faveur d’une minorité de privilégiés (actionnaires de grosses sociétés, bénéficiaires de stock options, spéculateurs financiers, par exemple) et une majorité de salariés, de retraités, qui ne perçoivent que des miettes et doivent recourir à toutes sortes d’artifices pour joindre les deux bouts.

Ces réalités commencent enfin à être perçues comme telles par certains milieux de la mouvance politicienne. C’est ainsi que, tout récemment, neuf clubs de réflexion proches du PS ont dénoncé « une nouvelle forme de crise de la redistribution », dénonçant à cet égard, « les ravages du libéralisme », d’un capitalisme qui « développe des désirs plus qu’il ne les satisfait », ainsi que « la place de l’argent dans nos sociétés par rapport au don », l’émergence d’une « économie sociale et solidaire » mais qui ne saurait constituer une voie alternative car elle utilise les mécanismes du capitalisme « pour assurer son existence » [1] .

Je souligne l’effort de ces clubs ou mouvements de pensée en marge des grands partis politiques pour approfondir la réflexion. Mais je regrette que ces analyses ne débouchent pas sur des orientations et des actions politiques concrètes. Ces neuf clubs, qui ont pignon sur rue, ne vont pas jusqu’au bout de leur logique : l’introduction dans le circuit monétaire d’une monnaie de consommation spécifique (le franc ?) ne pouvant pas servir à la spéculation mais seulement à acquérir des produits ou services largement disponibles sur le marché (contrairement aux biens dits de luxe ou de demi-luxe, rares donc chers) et s’épuisant au fur et à mesure de son utilisation. L’inventaire de ces produits ou services, parfois en surproduction ou voués à la destruction, n’est pas plus compliqué à établir et à mettre à jour que la comptabilité matière d’un hypermarché...

 Une première question aux candidats

Tous les citoyens sans exclusive devraient avoir accès à un revenu garanti. Un crédit devrait être régulièrement inscrit sur un compte spécifique et leur être accessible sous forme d’une carte de crédit. Son montant diminuerait au fur et à mesure de son utilisation et serait régulièrement et périodiquement rechargé en fonction des stocks ou disponibilités, réels ou potentiels. Le succès ou l’échec de cette formulation dépend de son mode de conception : substitut à des revenus pré-existants, ou nouveau complément de revenus ?

Ce faisant, on introduit un nouveau pouvoir d’achat, étant bien entendu que seraient exclus du revenu social garanti les productions ou services “gadgets”, la nouvelle société de consommation s’accommodant mal des artifices engendrés par l’ultra-libéralisme. La production serait ainsi régulée en fonction des besoins exprimés et non l’inverse.

Il est bien évident que le problème majeur généré par notre système économique n’est plus la production des biens et des services. Nous avons surmonté l’ère de la pénurie contrainte. Le développement des techniques, l’évolution accélérée des outils de communication permettent une productivité accrue, en quantité, en qualité, en rapidité.

Tout projet à vocation socialisante, par delà les discours populistes ou démagogiques, doit s’adapter à ces nouvelles donnes. J’aimerais connaître, à cet égard, le point de vue de Madame Royal, et aussi celui d’autres candidats à la candidature pour le scrutin présidentiel.

Le problème de l’adéquation de la production à la consommation, hors des sentiers battus de la planification autoritaire et d’un ultra-libéralisme débridé, constitue la préoccupation première des plus humbles, des classes moyennes fiscalement surimposées, en bref de tous ceux qui souffrent et qui souhaitent qu’un peu de justice sociale et d’équité soient enfin introduites dans cette société.

La droite est sensible à cette suggestion, comme le prouvent les opinions parfois courageuses exprimées par Madame Christine Boutin, députée de la majorité, laquelle a énoncé une variante de revenu garanti avec son projet d’une allocation universelle, actuellement évaluée à 300 euros [2] par bénéficiaire.

Mais comme dit l’adage populaire la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, alors on aimerait savoir exactement sur quels critères s’appuie le calcul d’une allocation universelle, alors que parallèlement des milliards de dollars ou d’euros partent régulièrement en fumée par le jeu stérile de la spéculation.

 Qui doit faire quoi ?

Les valeurs d’entraide, de solidarité vraie, d’édification de structures de communautés ouvertes, ne doivent pas être l’apanage du “charity-business” pour pallier les dégâts de plus en plus visibles, sur nos sociétés, sur l’environnement, de la dictature des marchés. Elles doivent relever d’une impulsion humaniste, voire humanitaire, donnée aux niveaux les plus élevés, comme transfiguration des esprits autant que transformation des structures.

Je suggère que les associations caritatives, et autres organisations non gouvernementales, ayant déjà en la matière une longue expérience et un savoir-faire, s’associent étroitement aux organisations écologistes, de consommateurs, etc. pour déléguer des représentants au sein d’un grand Syndicat National d’Usagers et de Consommateurs (SNUC), chargé d’élaborer et de superviser l’instauration du revenu garanti, avec sa contrepartie sociale, un pacte anthropo-politique ou, pour faire plus simple, de contrat civique. Le Conseil économique et social pourrait être chargé d’une étude de faisabilité et de simulation de ce projet, qui devra s’intégrer à un programme politique plus globalisant.

Il est évident que je réserverai mes votes en faveur de celui (ou celle) qui énoncera un idéal et présentera un programme cohérent qui soient en adéquation avec ces propositions...


[1Le Monde, 20 /6/2006.

[2NDLR : Rappelons que le dividende universel de Mme Boutin est un revenu mensuel remplaçant toutes les actuelles allocations, et qui, financé par REdistribution, n’atteindrait progressivement ce montant de 300 euros qu’au bout de cinq ans.


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