Aux Français, Haroun Tazieff recommande
par
Publication : juillet 1980
Mise en ligne : 7 octobre 2008
« La chasse au gaspi : un genre de guignolerie. La journée
du soleil : une faribole. Le rôle du médiateur : de la
poudre aux yeux. Partout, on fait semblant. Le mensonge est devenu un
moyen de gouvernement. La publicité : elle crée de faux
besoins et constitue un intolérable facteur de gaspillage. Les
escroqueries cautionnées par l’Etat rempliraient un bouquin.
»(1)
Suite de conversations à bâtons rompus, écrit dans
un style sans fioritures, le livre d’Haroun Tazieff respire la sincérité,
rappelant, par le ton, cet autre livre : La France Pauvre, publié
il é a une quinzaine d’années. Plus qu’un constat c’est
un réquisitoire que dresse H. Tazieff à l’encontre de
tout ce qui ne va pas dans notre « démocratie » livrée
à l’hypocrisie, au mensonge, aux injustices.
Il dénonce avec feu les gaspillages qui permettent au capitalisme
d’alimenter ses débouchés industriels et miniers, tandis
que le maudit problème, celui du revenu agricole, ne trouve pas
d’autre solution que le malthusianisme, la mobilisation des contribuables
pour financer les stockages, les exportations, les aides extérieures
et les destructions de récoltes.
H. Tazieff ne se prétend pas économiste. Il s’abstient
donc de faire référence aux travaux des chercheurs en
ce domaine. Il y a chez H. Tazieff un mélange de lucidité
et d’ingénuité. Lucidité quand il décortique
les tares d’un régime pourri, décadent, exsudant le scandale
; ingénuité quand il croit à un sursaut de bonne
conscience pour mettre un terme, sans révolution économique,
à cette accumulation de turpitudes dont sont victimes les populations.
En fait, les vices de notre civilisation, stigmatisés sans relâche
par l’auteur, sont la conséquence d’une règle du jeu,
d’usages monétaires qu’il faut avant tout changer pour que change
tout le reste.
Ainsi la pollution est-elle associée au conflit rentabilité-utilité,
c’est-à-dire aux usages monétaires eux- mêmes. Pour
lors la dépollution n’est rentable qu’au niveau des entreprises
fournissant les coûteux matériels d’épuration.
Rappelées dans le livre, certaines propositions de l’U.F.C. ont
séduit H. Tazieff qui n’en discerne pas l’irréalisme :
augmenter les durées d’usage n’est qu’un voeu pieux face à
la rage de vendre laquelle constitue le credo de la libre entreprise.
N’exigeons pas. de même, d’une entreprise qu’elle s’intéresse
aux difficultés de transport de sa main-d’oeuvre. Enfin. l’U.F.C.
voudrait ruiner la très puissante industrie des transports routiers
au bénéfice du rail et de la voie d’eau. Le morceau est
vraiment gros à avaler.
A propos de l’information nucléaire : « ce qui m’inquiète
le plus, écrit-t-il, c’est le manque de franchise qui caractérise
la conception du programme nucléaire depuis ses coûts jusqu’à
ses défaillances éventuelles ». Et il ajoute : «
EDF et l’Etat redoutent à tel point toute clarification qu’ils
pèsent d’un poids très lourd sur les médias et
sur la Presse pour que le silence se poursuive aussi longtemps que se
pour. suit la construction des centrales que certains groupes de pression
imposent à la nation française. »
Encore à propos d’EDF : « La nationalisation a conduit
à une certaine excellence technologique mais elle a permis la
trahison des intérêts mêmes de la population au bénéfice
d’énormes intérêts privés. »
Selon H. Tazieff les sociétés suisses et américaines
pratiqueraient une tout autre démocratie ; jugement qu’il convient
de nuancer. Le panégyrique des moeurs politiques de la Suisse,
repaire de la fraude mondiale et coffre-fort de l’argent du crime, semble
quelque peu idéalisé. Les hommes d’affaires suisses, en
dépit de leur courtoisie légendaire, se sont taillés,
dans le monde, une solide réputation de rapacité. De même,
radio et télévision américaine sont peut-être
indépendantes du Pouvoir politique, mais elles sont solidement
tenues en main par le Pouvoir économique lequel commande le Pouvoir
politique, quand il ne se confond pas avec celui-ci. « En un quart
de siècle, dit H. Tazieff, les trusts internationaux ont réduit
les Etats à un rang subalterne. »
L’alternance du Pouvoir tient toujours le black power sur la touche.
Républicains et démocrates sont pareillement conservateurs,
attachés au règne de l’argent. Bien piètre idéal
qui débouche inévitablement sur un gaspillage insensé
d’énergie et de ressources naturelles. sur des guerres incessantes,
indispensables débouchés d’appoint pour l’industrie américaine,
sources d’énormes profits pour les « intérêts
supérieurs américains ».
Pour protéger la petite sécurité qu’ils possèdent,
observe à son tour Claude Mossé, les gens par paresse
ont peur de tout. De là résulte l’acceptation silencieuse
de situations inacceptables dont aucune justice ne viendra jamais modifier
le cours ».
« Ouvrez donc les yeux » : un livre qui dérange,
qui trouble le ronron de la pensée conformiste, un livre courageux,
bravant le Pouvoir, téméraire, audacieux dans ses jugements.
H. Tazieff dit tout haut et clairement ce que le public, livré
au panurgisme, ne peut exprimer au sein d’une démocratie qui
triche avec la règle.
Un livre qui ne connaîtra ni les honneurs d’APOSTROPHES ni le
tremplin de la presse bien pensante. « Ouvrez donc les yeux »
ne saurait plaire à ceux dont le souci majeur est d’enfouir dans
le sable la tête des autres.
(1) Par Haroun Tazieff, publié chez R. Laffont, éd., 1er tr. 1980.