Bon appétit quand même

Soit dit en passant
par  G. LAFONT
Publication : novembre 1980
Mise en ligne : 13 mai 2008

Nous avons appris par les journaux que Giscard s’est payé quelques jours de vacances cette année. Il en avait grand besoin.

Sept ans, bientôt, qu’il se démène pour faire le bonheur des Français, ces ingrats, qu’il parcourt l’hexagone en long et en large, qu’il va rendre visite à ses électeurs jusqu’au fond de leurs cambrousses pour goûter si la soupe est bonne, qu’il serre la paluche des éboueurs, ce qui l’oblige à se lever de bon matin pour leur faire le café, qu’il lutte contre l’inflation, qu’il réduit le nombre des chômeurs - faute de réduire le chômage - devenus demandeurs d’emploi ; bref, qu’il opère sous nos yeux - rien dans les mains, rien dans les poches - le redressement le plus spectaculaire, et néanmoins définitif, qu’un saltimbanque ait jamais réussi depuis Poincaré, premier détenteur du titre de redresseur national.

Je suis le premier à me réjouir de voir le président prendre quelques jours de détente entre une virée chez les Aztèques et un weekend avec Brejnev, avant d’aller voir les Chinois. Il n’aurait jamais pu tenir le coup pour affronter la campagne électorale laquelle n’est pas gagnée d’avance. C’est pourquoi il a préféré rester en France, pas trop loin de l’Elysée pour surveiller la boutique pendant son absence. Des fois qu’il y trouve un squatter au retour. On ne sait jamais. Fini le temps des safaris africains avec le « parent » Bokassa et l’échange des petits cadeaux qui entretiennent l’amitié.

Giscard a pris l’avion du GLAM, comme le premier citoyen venu, pour se rendre incognito - ou presque - à Cahors. De Cahors, au volant de sa bagnole, accompagné de Madame, il est reparti pour Lascaux, centre de la préhistoire, d’où il est allé rendre une petite visite à M. Cro-Magnon, un honorable retraité de paléolithique, qui vit retiré aux Eyzies, pas bien loin de là, dans un petit deux-pièces-cuisine d’époque, depuis 30 000 ans.

Après avoir salué le grand ancêtre, ou ce qu’il en reste, qui faisait sa petite sieste quotidienne sur une botte de paille, le président n’a pas su résister au plaisir, histoire d’épater son hôte, de répéter la déclaration qu’il venait de faire à Lascaux, et dont il était assez satisfait :

« Quand on visite la grotte de Lascaux, au centre de la préhistoire, et ce, vingt ans avant l’an 2000, on reste confondu devant les progrès de l’homme. »

Ces belles paroles n’ont eu aucun succès. Pour réveiller un homme endormi depuis 30 000 ans, il aurait fallu autre chose que l’apparition d’un président de la République. Au moins un tremblement de terre, un débarquement de Martiens, ou la trompette de Josaphat. M. CroMagnon n’a pas bronché et l’entretien en est resté là.

Un peu déçu, Giscard s’est retiré sur la pointe des pieds, en traînant Anne-Aymone, pour regagner le restaurant « Cro-Magnon » où il était descendu et se réconforter en se tapant un bon gueuleton avant de reprendre la route.

Déçu moi-même, et curieux de connaître l’impression faite par la déclaration présidentielle sur notre illustre ancêtre, je me suis rendu aux Eyzies et je n’ai eu aucune peine à réveiller le dormeur en lui chatouillant la plante des pieds avec une paille, et même à le faire rire.

- Alors, grand-père, lui ai-je dit, vous avez eu la visite du président  ? Il vous a fait l’honneur de vous parler. Vous auriez pu lui répondre, quand même, lui dire un petit mot gentil...

- Un petit mot gentil ? Non, mais t’es pas bien ?... C’est par un gros mot pas gentil que j’aurais voulu lui répondre, mais je suis poli. Entendre un chef d’Etat qui n’est pas foutu de sortir son pays de la pagaille où il merdoie depuis longtemps, se féliciter devant les progrès réalisés par l’espèce humaine, ça vaut mieux que d’être sourd. Le progrès ?... Quel progrès ?

- Allons, lui ai-je répliqué. Il y a tout de même du progrès depuis 30 000 ans. Vous devriez sortir, grand-père ; l’électricité, la bagnole, le tracteur agricole, la télé...

- Je sais. Et puis la bombe à neutrons, les denrées excédentaires qu’on répand sur les routes arrosées de mazout pendant que les vieux crèvent de faim, la course aux armements, le chômage, la pollution de la planète, le veau aux hormones, et j’en oublie. Et ton président appelle ça du progrès ? Que veux-tu que je lui réponde ?

- Il y a bien un mot, mais il a déjà servi à Waterloo.

- Alors, ce sera mange !... Et bon appétit.


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