Confusion sur l’abondance

Lectures
par  J. AURIBAULT
Publication : février 2000
Mise en ligne : 12 mai 2010

Dans un livre publié en 1945, et qui devrait être réédité tant il est d’actualité, Jacques Duboin a fait le point sur l’usage du mot “abondance” qui lui valut d’être appelé le théoricien, ou, parfois, l’apôtre de l’abondance. Il a choisi ce mot pour expliquer que le monde vient d’entrer dans une ère nouvelle : autrefois, des famines étaient toujours à craindre, le problème économique principal était donc de produire. Au cours du XXème siècle, les problèmes posés par cette nécessité de produire suffisamment ont été surmontés : on sait aujourd’hui produire à volonté. Le problème majeur a changé, il est maintenant que la production est mal répartie.

Ce qu’il résumait en disant qu’à l’ère de la rareté, dominée par le problème de la production, a succédé l’ère de l’abondance où c’est la distribution de la production qui est posé à notre société.

Il s’est attaché alors à trouver comment les progrès techniques, qui avaient résolu les problèmes de production, devaient être tranformés en progrès social, car cette transformation ne va pas de soi. C’est ainsi qu’il a été amené à élaborer son projet d’économie distributive, en partant du principe que les richesse produites aujourd’hui doivent être équitablement réparties entre tous, le premier des droits de l’homme étant d’avoir de quoi vivre décemment.

Jean Auribault se souvient d’une émission de France-Culture, le 6 juillet 1996, qui prouve que la confusion sur l’abondance n’avait toujours pas cessé :

Dans ce dialogue entre Alain Finkielkraut, Octavio Paz et Cornelius Castoriadis, était évoqué l’abondance. On s’aperçoit, à l’écoute de ce débat, que même des intellectuels engagés ont des difficultés se libérer de l’intoxication des idées néo-libérales. Le sens des mots, manipulés outrageusement par les politiques, les économistes et les médias, crée la confusion des notions qu’ils expriment. Ainsi :

O.Paz : — Il est clair que l’économie des pays totalitaires a été une économie de pénurie et que l’économie du capitalisme est une économie de l’abondance.

Fort heureusement, Castoriadis rectifie :

—De relative abondance .

et O.Paz poursuit :

— C’est pour moi l’un des grands mystères historiques contemporains : comment l’abondance, en produisant la conformité, a châtré les individus, transformé les personnes en masses, et en masses satisfaites, sans volonté et sans direction ? »

A cette question, Jacques Duboin a répondu :

— Nos licenciés, docteurs et même agrégés, peuvent oublier sans inconvénient majeur ce qui fait partie intégrante de l’économie de la rareté, qui correspond en fait, à l’âge de l’artisanat ; mais ils doivent se préoccuper de problèmes qui se posaient à peine quand leurs professeurs ont commencé leurs études. Si l’abondance apporte dans la science économique une transformation peut-être encore plus révolutionnaire que la vapeur dans la navigation, il est nécessaire de conserver un bon nombre de notions classiques pour éviter de choir dans la triste confusion des réformateurs d’occasion ».

Car

— Quand l’abondance survient, toute valeur disparaît.

Castoriadis donne alors son explication :

— Je ne crois pas qu’il faille incriminer l’abondance comme telle. Je crois qu’il faut incriminer la mentalité qui fait de l’économie le centre de tout […] Il y a une crise qui vient de quoi ? D’un côté, de la chute des idéologies révolutionnaires ; d’un autre côté, de la crise très profonde de l’idéologie du progrès. Au 19è siècle, pour les gens, les grands libéraux ou les progressistes, le progrès, ce n’était pas seulement une question d’accumulation des richesses : John Stuart Mill pensait que le progrès allait donner aux gens la liberté, la démocratie, le bonheur, une meilleur moralité. Or, aujourd’hui, personne, pas même les thuriféraires du système actuel, n’ose dire qu’il n’y a qu’à laisser le progrès faire son travail et qu’on sera tous heureux ou tous meilleurs ; ce n’est pas vrai, tout le monde sait qu’on aura peut-être une télévision meilleure et puis c’est tout. »

En écho de cette opinion, on ne peut que rappeler la formule lapidaire de Jacques Duboin :

— L’économie libérale, c’est l’économie égoïste. Qui l’enseigne doit fort habilement esquiver la question sociale, sinon la nier délibérément.


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