Enjeu démocratique : Sortir de chiraquie ?

RÉFLEXIONS
par  P. VILA
Publication : août 2004
Mise en ligne : 5 novembre 2006

  Sommaire  

Les quatre premiers présidents de notre cinquième république, incarnations et verbes de la France dans tous ses états ne nous ont pas rapprochés du rêve Liberté-Égalité- Fraternité d’il y a 210 ans. Et Jacques Chirac, malgré son œil resté vif, achève de perdre la consistance nécessaire au progrès de la démocratie européenne, justement centrée sur l’économique.

En fait nos devenons moins libres. Embarqués après la seconde grande guerre dans un essaim de sales petites guerres de pauvres, sans ligne de conduite autre que l’hypocrite statu quo des puissances d’autrefois, mais où les éminences grises sont totalement secrètes.

Avec les présidences 2 et 3, la stratégie démocratique anti-gaullocrate du “réalisme” à court terme s’est laissée enliser dans une séquence d’abus militaro-industriels, héritages mal contrôlés de la défense libératrice des compagnons, puis alignement sur les succès des État-Unis.

En 1995, le rôle de commandeur européen du président français a cessé avec la fin tant espérée du service militaire obligatoire. On remplaça cette corvée par les études secondaires, les volontariats humanitaires, Erasmus... Ou simplement par des “expériences personnelles”...

Hélas la crise monétaire a bien limité ces espoirs. Et dans ce vaste et bas monde notre dépendance du grand frère américain pour la simple survie de l’Europe s’est imposée très vite.

Qu’importe, nous étions déjà les otages du système capitaliste américain, avec une image militaire “pacifiste”, mais en même temps avec ses complicités de corruption politique avec les dictatures foisonnantes au Sud. Chez nous, il y a eu l’innovation française de double jeu : le réseau Foccard, protecteur des “intérêts français” dans l’import-export qui écrase les ex-colonisés, mais aussi vendeur de protections mercenaires aux chefs d’États africains (puis de l’Inde et de l’Asie moyenne). Que cela ait été toléré au vingtième siècle doit nous interroger [1]. Mais, faute politique encore pire, le devoir d’égalité fraternelle promis par de Gaulle aux excolonisés africains a été cyniquement trahi : il fallait un ballon d’oxygène aux mêmes “intérêts” de nos pitoyables citoyens Lefloch-Prigent, Pasqua et de divers collatéraux mercenaires parés de lauriers anti-soviétiques… La coopération française a retardé.

 

Il n’est donc pas étonnant que dès 1990, avec la fin des peurs de guerre froide, les poussées de haine et d’envie aient remis les chefs de peuples maltraités à la violence… Milosevitch, Saddam, les plus incapables de calmer leurs minorités explosives sont devenus les affreux à contrer par l’intervention humanitaire. Le travail de soutien pacifique aux minorités d’Afrique et d’Extrême- Orient a été abandonné par ses plus purs militants en faveur des zones de conflit des Balkans et d’Afghanistan, tombeaux des empires romain puis britannique.

En conséquence, à la place des affreux nationaux, on voit se lever de nouveaux plus affreux internationaux, contaminés par des romantismes religieux, tribaux, ou très bassement nationalistes. Allons-nous soutenir la secte El Qaeda contre nos braves alliés marchands “d’ordre et de loi” planétaires, qui plus est, alourdis d’un arsenal inadapté à l’anti-guerilla de cavernes montagneuses ?

L’Europe aurait dû mieux se tenir, et surtout ne pas jouer les apprentis-financiers concurrents du système bancaire éprouvé de Chicago à Dallas.

 

Malgré ce bilan, le refus par Chirac et Schröder de marcher sur l’Irak a dérangé les intégristes de la “Pax americana”, juges et parties de l’avenir mondialisé.

Pour cela au moins le président français a tenu la corde en tête, encore merci à lui.

Derrière les erreurs des hommes de la Maison blanche on voit un puissant groupe de manipulation, qui se joue des erreurs de jugement des dirigeants visibles, pour diviser les nations et garder la réelle propriété des richesses et du génie productif de l’occident moderne.

“Dans sa sagesse”, il importe à ce groupe de conserver son monopole de 300 années sur le système bancaire privé anglais, progressivement mondialisé depuis. Alors l’accès pour l’Europe à une libération du crédit bancaire semble verrouillé [2].

Après les chocs de 2002-2004 le gros système de capital mondial devient-il une forteresse vide ? Notre problème avec de tels monstres c’est leur poids mental sur l’opinion, qui oblige à une préparation tactique très précise de la voie démocratique de remplacement structurel.

Dans ces avatars de domination discrètement menaçants du capitalisme anglo-saxon, le bricolage approximatif de notre Chirac jette une note de pénible légèreté.

D’autre part, il nous faut un groupe de décision très solide pour dire et faire la grande réforme de Bercy. Dans la conjoncture de juillet 2004, le dernier Raffarin peut bien mettre toute son énergie à satisfaire la cohérence administrative et budgétaire, et en même temps à “relancer l’emploi” ; avec les règles de Bruxelles cela n’est pas possible et on va vers une crise de colère sociale. N’oublions pas que les expédients bancaires du volet monétaire de Maastricht étaient “dans l’œuf” lors des accords Schmidt-Giscard dits du “Serpent nonétaire”. Tout cela est bien oublié.

Pour les maîtres du cartel bancaire, la grande gauche française (PS + Verts + PCF) n’osera pas non plus sauver la démocratie sociale par la distribution du crédit de consommation et l’ajustement, par la banque nationale, des flux financiers aux échanges. En public en tout cas nos éléphants du PS ne discutent que des aspects négligeables du texte de convention bâclé par le groupe Giscard, sans préciser une position sur les mauvais paragraphes de “mode d’emploi économique et social” de sa troisième partie. D’où la question : les “résignés d’avance” (à gauche Cohn-Bendit, Attali, Rocard, …) jouent-ils les nigauds pour mieux profiter d’un échec de Raffarin, et ainsi mieux faire accepter la réforme bancaire selon Joseph Stiglitz ? Je n’ose y croire. Ou existe-t-il l’hypothèse d’un sursaut Sarkozyste ?

Quoi qu’il en soit nous arrivons peut-être au terme : ne nous contentons plus de faux-semblants ! L’occasion de faire enfin l’Europe est à saisir bientôt. Le présent débat sur la santé à l’Assemblée nationale, test des capacités respectives des deux tendances, prend ainsi un intérêt probablement capital, bien au delà de son résultat officiellement visible.

Donc deux objectifs :

• En France, la réforme du crédit national à Bercy, banc d’essai n°1 en Europe

• Pour l’Occident, un travail d’accords d’aide stratégique aux poches de pauvreté, que les grandes ONG (Amnesty International, UNICEF, CCFD et les Croix + Croissants) ne cessent de réclamer (aux dernières nouvelles). Les nouveaux militaires de terrain devraient compter quelques petits théoriciens de l’échange en zone de crise, hérités de la bonne coopération.

De l’audace !


[1Avec le recul il est possible que ces “tolérances” aient arrangé les puissants groupes privés totalement irresponsables, mais institués par les diplomates américains depuis les années l950 dans l’industrie pétrolière en zone Arabo-persique, pour faire pièce à l’empire stalinien. Cette domination a faibli depuis la résistance iranosaoudienne des années l970 et la découverte des capacités pétrolières de la Mer du nord. La riposte, d’abord insoupçonnée chez nous, a été le dumping financier par les pétrodollars, véritable malédiction pour l‘Europe.

[2Pourtant l’Europe pourrait tres bien s’en libérer moyennant un léger correctif au traité de Maastricht, comme le suggérait récemment l’auteur du traité, Jacques Delors. Ce serait une ère nouvelle dans l’histoire, le début du réalisme économique, et un grand soulagement pour les peuples. Un tel abandon ne blesserait peut-être pas tellement les grandsmaîtres du présent système mondial, qu’on imagine occupés sans cesse à se surveiller entre eux.


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