Essai sur la candidature
Mise en ligne : 14 février 2007
L’actualité, en France, est apparemment dominée par la perspective des élections. Tout candidat dispose aujourd’hui d’un enseignement sur l’art et la manière de plaire aux électeurs, qui lui est dispensé par des maîtres. Et ce, depuis l’Antiquité : la preuve, Paul Vincent a retrouvé les recommandations que dispensait déjà, à Cicéron, un siècle avant Jésus-Christ, son frère Quintus.
Il en a extrait ceci :
Chaque jour, en descendant au forum, méditez ces idées : « je suis un homme nouveau ; je demande le consulat ». Faites paraître ensuite le nombre et la qualité de vos amis. Plus heureux qu’aucun homme nouveau, vous avez pour vous tous les publicains, l’ordre équestre presque entier, beaucoup de villes municipales, plusieurs corporations, tant de personnes de tous les ordres défendues par vous, une foule de jeunes gens que vous attache l’amour de l’éloquence… Votre soin doit être de conserver ces avantages… et par tous les moyens possibles, de persuader à ceux qui veulent vous servir et à ceux qui le doivent, qu’ils ne trouveront aucune autre occasion, les uns de vous prouver leur reconnaissance, les autres d’acquérir des droits à la vôtre.
Rien ne seconde plus efficacement un homme nouveau que l’assentiment des nobles… Il faut leur persuader que, pour nos sentiments politiques, nous avons toujours été unis au parti des grands, et très éloignés de celui du peuple ; que si jamais nous avons parlé dans le sens populaire, nous ne l’avons fait que pour nous concilier Pompée, afin qu’un homme d’un si grand crédit secondât le succès de notre candidature, ou du moins ne s’y opposât pas.
Vous demandez le consulat : tous vous en jugent digne, beaucoup vous l’envient… tous, je crois, hors ceux qui vous portent une affection extrême, sont jaloux de votre élévation… Deux moyens de succès partagent les soins d’un candidat : le zèle de ses amis et la bienveillance du peuple. L’un est le prix des bienfaits, des services, de l’ancienneté des liaisons, de l’obligeance et de l’amabilité naturelle. Mais, dans la candidature, ce nom d’amis souffre une acception plus étendue que dans le reste de la vie : quiconque vous témoigne de la bonne volonté, de la considération, quiconque se montre fréquemment dans votre maison, doit être compté au nombre de vos amis…Acquérez, en un mot, des amis de toutes les classes…Attachez-vous et confirmez dans leur bonne volonté ceux qui peuvent payer des suffrages de leur centurie un bienfait qu’ils ont reçu ou qu’ils attendent de vous…Efforcez-vous de bien distribuer et de faire bien remplir son emploi à chacun de ceux que vous avez obligés ; et si, jusqu’à ce jour, vous n’avez, comme je le sais, rien exigé d’eux, qu’ils sentent que vous avez réservé pour le moment actuel tout ce que vous pouviez attendre de leur reconnaissance…discernez soigneusement ce que chacun peut faire, afin de savoir comment vous devez capter sa bienveillance, et ce que vous pouvez en espérer et en exiger…Au milieu de tant de désagréments, cette position vous offre du moins l’avantage de pouvoir, sans honte, vous unir d’amitié avec qui vous voulez ; ce que vous ne sauriez faire le reste de la vie…Il suffira qu’il pense que vous attachez un grand prix à ses bons offices,…qu’il les place bien, et que, de cette occasion, doit naître une amitié solide et durable, et non point passagère et bornée au temps des comices…Ils vous désireront pour ami, dès qu’ils croiront que vous désirez leur amitié. Pour qu’ils n’en doutent pas, employez les discours les plus propres à le leur persuader.
Puisque j’ai parlé du cortège d’un candidat, j’observe qu’il est indispensable de réunir chaque jour près de vous une multitude d’hommes de toutes les classes, de tous les âges, et de tous les ordres…
Si vous découvrez, ou si l’on vous fait apercevoir dans les promesses d’un client l’intention de vous tromper, ayez grand soin de dissimuler que vous le sachiez ou qu’on vous l’ait dit… N’en cherchez pas moins à pénétrer les intentions réelles de chaque individu, afin d’y proportionner votre confiance…Partout sont à craindre la ruse, les embûches, la perfidie…Pour guérir de leur prévention défavorable ceux qui vous haïssent sans cause, adoucissez-les par de bons offices, par des espérances, par l’assurance que vous chercherez à leur être utile.
Après avoir suffisamment parlé des moyens de vous assurer des amis, je dois traiter de l’autre partie de la candidature, qui a pour objet la faveur populaire…Faites d’abord éclater le soin de bien connaître vos concitoyens…Gagnez ensuite sur vous de paraître agir naturellement dans ce qui est le plus éloigné de votre naturel…vous avez ici besoin d’une sorte de complaisance qui, vicieuse et déshonorante dans le reste de la vie, est indispensable dans la candidature…un candidat ne peut s’en passer, lui dont les traits, la physionomie, les discours, doivent se ployer aux idées et aux affections de tous ceux qu’il aborde.
C.Cotta, cet homme consommé dans l’art de la brigue, disait qu’il promettait à tout le monde … et qu’il s’acquittait envers ceux dont la reconnaissance lui semblait la plus avantageuse : « Le risque est d’offenser celui qu’a trompé votre promesse, mais cet inconvénient est incertain, est éloigné, et ne s’étend qu’à peu de gens, tandis que vous promettez à tous. Par des refus, au contraire, vous indisposez certainement, et dès à présent, un plus grand nombre de personnes… car les gens qui veulent pouvoir compter sur votre assistance sont plus nombreux que ceux qui en usent. Il vaut donc mieux offenser un jour, peut-être, quelques clients dans le forum, que tous, et sur-le-champ, dans votre maison. Les hommes sont plus irrités contre celui qui les refuse que contre celui qu’ils voient empêché, par une cause légitime, de tenir sa promesse, mais plein du désir d’y satisfaire aussitôt qu’il le pourra ».
…Ayez soin enfin que toute votre candidature soit pompeuse, brillante, mémorable, populaire, et qu’elle unisse l’éclat à la dignité …Songez que vous êtes l’homme le plus propre à inspirer à vos compétiteurs la crainte d’une accusation et d’un jugement. Qu’ils sachent que vous les surveillez, que vous les épiez …