Est-ce la fin de l’emploi ?
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Publication : octobre 2017
Mise en ligne : 10 janvier 2018
La robotisation et le développement de l’Intelligence Artificielle (IA) semblent prêts à supprimer de nombreux emplois dans les années qui viennent, que restera-t-il pour les êtres humains ? C’est la question à laquelle tente de répondre Toby Walsh [1] dans l’ouvrage Android Dreams qu’il vient de publier en septembre dernier [2].
Il me paraît intéressant de résumer la critique que vient d’en faire le quotidien britannique The Guardian [3].
Que nous réserve l’avenir ?
Pour Hal Varian, chef économiste chez Google, l’avenir est facile à prévoir. Il suffit de regarder ce que les riches ont aujourd’hui. « Les classes moyennes auront un train de vie équivalent dans dix ans et les pauvres dans dix ans de plus. Par exemple, aujourd’hui les riches ont des voitures avec chauffeur mais demain nous aurons tous des voitures sans conducteur ; les riches ont des banquiers privés, mais bientôt nous aurons tous des robots banquiers… ».
Pour Evgeny Morozov [4] « le luxe est déjà là mais il n’est pas également distribué ».
Nous rêvons aujourd’hui de la vie de loisirs des riches mais notre futur sera-t-il aussi le temps des loisirs ? Les machines transpireront-elles à notre place et pourrons-nous passer notre temps à faire des choses plus importantes que nous loger et nous nourrir ?
En novembre 2015, Andy Haldane, chef économiste à la Banque d’Angleterre, prévoyait que 15 millions d’emplois (en gros la moitié des emplois du pays) étaient menacés par l’automatisation. (On peut penser qu’il savait de quoi il parlait… d’autant plus qu’il n’était pas le seul à faire de telles prévisions. Hommes politiques, banquiers, industriels,… disaient tous la même chose).
Lors de la Conférence de septembre 2017 du parti Travailliste, son président Jeremy Corbyn prévenait : « Nous devons d’urgence affronter le défi de l’automatisation et de la robotisation qui pourraient rendre inutiles de nombreux emplois ».
En 2016, selon Jim Yong Kim, président de la Banque mondiale, les pourcentages des emplois menacés par l’automatisation étaient de 69% en Inde, 77% en Chine et au moins 85 % en Ethiopie.
Il semble donc bien que nous allons devoir affronter la fin de l’emploi tel qu’il existe.
En fait, beaucoup de ces craintes étaient déjà présentes après l’étude effectuée en 2013 par l’Université d’Oxford qui prévoyait que 47% des emplois des États-Unis seraient menacés dans les deux décennies à venir.
Des études du même type, plus récentes et plus précises, conduisent aux mêmes résultats “dramatiques”.
Les prévision d’Oxford sont cependant erronées dans un certain nombre de domaines : même si 47% des emplois sont automatisés, ça ne veut pas dire qu’il y aura 47% de chômeurs en plus, tout simplement parce qu’on peut réduire la durée du temps de travail - comme ce fut le cas lors de la révolution industrielle (passage, en moyenne, de 60 à 40 heures par semaine). C’est ce qu’on peut faire aussi avec développement de la révolution de l’IA. On peut ajouter, comme le montrent les expériences passées, que toute nouvelle technologie crée aussi de nouveaux emplois… Il n’y a pas de raison, pense Toby Walsh, que cela ne soit pas aussi le cas dans le futur. Il n’y a cependant, remarque-t-il, aucune loi économique selon laquelle le nombre d’emplois crées serait égal à celui des emplois supprimés. Dans le passé, plus d’emplois ont été créés que supprimés, mais il n’y a aucune raison pour que ça soit la même chose dans le futur.
Lors de la révolution industrielle,les machines remplacèrent l’homme dans les tâches physiques qu’il accomplissait mais lui laissait les tâches cognitives. Ce n’est plus le cas maintenant. D’où l’inquiétante question « que reste-t-il pour nous, les humains ? »
« Certains de mes collègues, dit Walsh, pensent qu’il y aura beaucoup d’emplois comme, par exemple, les robots soignants. Je n’en suis pas absolument convaincu. Les milliers de personnes qui peignent et soudent dans la plupart de nos fabriques d’automobiles sont remplacés simplement par un ou deux réparateurs de robots. Non, les nouveaux emplois seront ceux dans lesquels les humains excellent ou ceux que nous aurons décidé de ne pas faire faire par des machines. Mais dans cinquante ou cent ans les machines seront super-humaines. Il est donc difficile d’imaginer dans quel domaine les hommes surpasseront encore les machines. Ce qui signifie que les seuls emplois qui resteront seront ceux que nous préféreront qu’ils soient effectués par des humains ».
Il est d’autant plus urgent de s’en inquiéter que les progrès en IA sont de plus en plus rapides.
La visite de Sophia aux Nations Unies
The Guardian du 13/10/17 raconte, d’après un film de UN Web TV (qu’on peut retrouver sur You Tube), la visite que vient de faire aux Nations-Unies Sophia, un robot de la taille d’un être humain. Sophia s’est tout d’abord présentée en précisant qu’elle a un an et demi, qu’elle peut voir les personnes qui sont dans la salle, converser normalement avec elles, entendre ce qu’ils disent et comprendre même les sous-entendus. Son visage peut prendre des milliers d’expressions… Elle précise, avant de remuer ses doigts, qu’elle vient tout juste d’avoir de nouvelles mains… « Je suis ici, précise-t-elle, pour aider l’humanité à créer son futur ». Le secrétaire général adjoint des Nations-Unies, Amina J Mohammed, lui ayant demandé comment les Nations-Unies pouvaient aider ceux qui ne disposent pas des moyens élémentaires comme l’électricité, Sophia a cité l’auteur de romans de science fiction William Gibson, avant de vanter la supériorité de l’IA en matière de distribution des ressources. Puis elle a remercié l’assemblée avant d’esquisser un sourire… un peu forcé.
Coup de tonnerre dans le monde de l’IA
Jeudi 19 octobre 2017, 11 heures 11, BFM Business communique : « Pour la première fois, un robot gagne au jeu de go sans l’aide des humains. AlphaGo, le super-ordinateur qui avait fait sensation l’an dernier en battant le champion du monde de go, un jeu extraordinairement complexe, est tombé sur plus fort que lui : il vient d’être écrasé par une nouvelle version de son propre programme, capable d’apprendre par lui-même, en s’affranchissant de la connaissance humaine ».
Dénommée AlphaGo Zero, la nouvelle version du super ordinateur qui apprend tout seul, a battu son ainée AlfaGo après seulement trois jours d’entraînement. Il a été mis au point par DeepMind, la division IA londonienne de Google. Même au jeu, nous serons battus par les machines. Il ne nous restera vraiment plus rien !
Et pour couronner le tout, il faut ajouter qu’un certain nombre de pays comme les États-Unis, la Chine, la Russie et Israël cherchent à développer des technologies d’armes autonomes capables de déterminer elles-mêmes leurs trajectoires… sans aucun contrôle humain !
Ce qui a amené les Nations-Unies à ouvrir à La Hague un nouveau centre d’études sur le développement de l’IA et de la robotique, afin d’essayer d’évaluer les dangers de ces nouvelles recherches en matière d’armement.
Restons optimistes
La conclusion que tire Walsh de son étude, « que les seuls emplois qui resteront seront ceux que nous préférerons qu’ils soient effectués par des humains », nous redonne quelque espoir car, écrit-il à la fin de son ouvrage, « la révolution de l’IA peut nous faire redécouvrir les choses qui font de nous des humains. Techniquement les machines deviendront des artistes extraordinaires : elles seront capables d’écrire de la musique comme Bach et peindre comme Picasso. Mais pourtant nous préférerons les œuvres des artistes humains. Nous apprécierons un artiste humain qui nous parle d’amour parce que c’est ce que nous avons en commun. Aucune machine n’aimera vraiment comme nous. Comme pour l’art, il y aura une réappréciation de l’artisanat. Nous en voyons déjà le début dans la culture hipster [5] . Nous apprécierons de plus en plus les choses faites à la main. Les produits de grande consommation fabriqués par des machines deviendront de plus en plus bon marché tandis que les objets faits à la main seront rares et de plus en plus chers.
Finalement, en tant qu’animal social, nous apprécierons de plus en plus nos contacts sociaux avec les autres. Notre caractéristique humaine la plus importante sera notre intelligence sociale et émotionnelle, comme nos compétences artistiques et artisanales. L’ironie c’est que notre futur technologique ne concernera pas la technologie mais notre humanité ».
[1] Toby Walsh, Professeur d’Intelligence Artificielle à l’Université de la Nouvelle Galles du Sud, Sydney, Australie.
[2] Android Dreams : the past, present and future of Artificial Intelligence, éd. Hurst Publishers, 2017.
[3] The Guardian, 1/10/2017
[4] Evgeny Morozov, spécialiste des implications politiques et sociales du progrès technologique et du numérique.
[5] Evgeny Morozov, spécialiste des implications politiques et sociales du progrès technologique et du numérique.