Karl MARX -II -
par
Publication : mai 1985
Mise en ligne : 9 mars 2009
En reproduisant des extraits du livre « Libération » publié en 1936 par Jacques DUBOIN, nous avons abordé, le mois dernier, et poursuivons aujourd’hui, l’analyse des thèses de
L’énergie extra-humaine était si peu
utilisée au moment où parut la théorie de la plus-value
qu’il fallut encore attendre quarante années pour avoir des statistiques
à peu près précises sur les progrès considérables
qu’elle avait accomplis pendant ce laps de temps... en trente-quatre
ans la puissance disponible a été multipliée par
9.
Rien de tout ceci n’existait en 1867 et nous passons sous silence une
autre source prodigieuse d’énergie : le pétrole, qui va
fournir des milliards de chevaux-vapeur pour le service de la production
ou des transports. Or, en 1867, la consommation du pétrole était
limitée à celle de la lampe qui porte son nom. C’est tout
l’éclairage dont disposaient Marx et ses contemporains. Nous
avons vu, dans un chapitre antérieur, que dans un laps de temps
de 60 années, toutes postérieures à Karl Marx,
la production du charbon et du pétrole a été multipliée
par le coefficient 17.
Il paraît donc indispensable de compléter la théorie
de Karl Marx, car si la valeur d’une chose peut encore se mesurer à
la quantité de travail qu’a exigée sa création,
il est clair que ce n’est plus uniquement du travail humain. A celui-ci
est venu s’ajouter celui des chevaux-vapeur dans une proportion toujours
grandissante, ainsi que nous venons d’en donner un bien rapide aperçu.
Le patron ou le capitaliste continue bien à acheter le travail
de l’ouvrier contre la quantité de subsistances dont celui-ci
a besoin pour pouvoir continuer à travailler ; mais il achète
encore le travail des chevaux-vapeur que lui fournissent la houille,
le pétrole, les chutes d’eau et qui vont actionner son outillage.
Et à quel prix paie-t- il leur travail ? Au prix de toute marchandise,
c’est-à-dire en principe au prix fixé par la loi de l’offre
et de la demande. Et ce prix est très inférieur au salaire
qu’il aurait fallu payer à l’ouvrier pour la même quantité
de travail, car si le patron ou le capitaliste n’avait pas trouvé
d’avantages à cette substitution, il n’aurait jamais eu l’idée
d’employer des machines. C’est le désir de réaliser plus
de profit qui pousse logiquement le producteur à améliorer
son outillage.
Karl Marx ne pouvait certes pas, en 1867, prévoir l’emploi massif
de l’énergie extra-humaine qui allait concurrencer toujours plus
âprement ce travail humain dont il parle dans sa théorie
de la plus- value. Cela ne change rien, dira-ton, à la théorie
elle-même, en ce sens que Karl Marx avait bien prévu que
le patron ou le capitaliste, désireux de réaliser le plus
de profit possible, devait tout naturellement essayer d’augmenter cette
plus-value. En effet nous avons vu que Karl Marx n’ignorait pas que
le producteur chercherait tout naturellement soit à payer un
salaire moins élevé, en obligeant l’ouvrier à s’approvisionner
à un économat patronal, soit à allonger la journée
de l’ouvrier tout en lui payant le même salaire ; soit encore
en remplaçant l’ouvrier par la main-d’oeuvre féminine
ou enfantine qui coûte nécessairement moins cher. On peut
donc prétendre que l’emploi de l’énergie extra-humaine
rentre dans le cadre de ces mêmes préoccupations. Si Karl
Marx n’en parle pas implicitement, il n’a dit mot non plus, et pour
cause, du système Taylor, ni même de la rationalisation
qui, à leur tour, et après la mort de Marx, ont eu ’comme
conséquence d’augmenter la production, tout en diminuant la main-d’oeuvre
nécessaire.
On ne peut plus en douter puisque toute l’histoire de ces dernières
années en est la preuve : nous assistons au contraire à
une .baisse constante de la plus-value, sauf dans un secteur momentanément
privilégié, c’est-à-dire celui dans lequel la concurrence
ne joue plus, et celui où l’Etat vient en aide au producteur
par tous les moyens divers que nous connaissons.
Mais si cette baisse ne pouvait pas être prévue dans la
théorie de la plus-value, elle découle des prémisses
mêmes dont Karl Marx s’est servi pour échafauder tout son
raisonnement.
Reprenons-le donc à la base Karl Marx, très judicieusement,
part de l’échange, qui forme la base de tout notre régime
économique. Le salaire de l’ouvrier, dit-il en substance, n’échappe
pas à la loi de l’échange. C’est le patron ou le capitaliste
qui achète la force de travail de l’ouvrier pour en disposer
à son gré : il a payé la main-d’oeuvre à
son juste prix car on doit entendre par là sa véritable
valeur d’échange. C’est la faute du régime s’il en est
ainsi, mais dans le régime il ne peut pas en être autrement.
Jusqu’ici le raisonnement est impeccable, mais, il ne faut pas l’arrêter
là. La loi de l’échange va jouer encore pour la plus-value
tant que nous resterons dans le régime. En effet, grâce
au travail de ses ouvriers, le patron ou le capitaliste est à
la tête d’un stock de produits fabriqués qui est sa propriété
: Que va-t-il en faire ? Le consommer lui-même ? Jamais de la
vie, car ce n’est pas pour cela qu’il a fait fabriquer ces produits.
Il va donc chercher à les écouler dans le public, c’est-à-dire
à les vendre à des clients. Mais c’est encore la loi de
l’échange qui va intervenir, car vendre : c’est échanger
contre de l’argent. De sorte que la plus-value de Marx ne constitue
un profit qu’autant que le stock est vendu au-dessus de son prix de
revient. C’est là précisément que la plus-value
va s’évanouir dès le moment où la capacité
d’achat est en baisse. La plus- value du patron ou du capitaliste, telle
que la définit Marx, n’est donc plus qu’un profit en puissance.
Pour le réaliser, il faut essentiellement que le revenu national
le permette, celui-ci n’étant autre chose que la masse de capacité
d’achat. Et qui crée cette masse de capacité d’achat ?
Nous savons que c’est la production elle-même.
Pourquoi crée-t-elle aujourd’hui moins de capacité d’achat
qu’au temps où vivait Marx ? Précisément à
cause de l’emploi intensif des chevaux-vapeur. Le travail de ceux-ci
a permis d’actionner un outillage qui a créé des produits
en regard desquels il n’est plus possible d’inscrire, proportionnellement,
la même capacité d’achat d’autrefois, mais une capacité
d’achat beaucoup moindre : celle du prix payé aux producteurs
d’énergie, celle du prix payé aux constructeurs de matériel
et l’amortissement de celui-ci ; celle payée aux producteurs
d’engrais, etc., etc.
La production scientifique remet en circulation proportionnellement
moins d’argent que la production telle qu’elle fonctionnait au temps
de Marx. De sorte qu’apparaissent les stocks invendus entraînant
la disparition rapide de la plus-value.
C’est que la capacité d’achat, née d’une production déterminée,
est presque inversement proportionnelle aux progrès de la technique.
Nous prenons ce dernier mot dans son sens le plus large, de façon
à ne pas le limiter aux chevaux-vapeur dont nous venons de parler,
mais à lui faire englober la technique de l’ingénieur,
du chimiste et de l’agronome.