L’éducation nécessaire


Publication : octobre 1978
Mise en ligne : 14 octobre 2006

L’EDUCATION ne faillira pas à sa tâche essentielle : développer l’esprit critique des élèves. Ils doivent apprendre à ne pas conclure sur un fait isolé que le hasard a permis de constater, alors que leur attention aurait pu être attirée sur mille faits négatifs, si les circonstances s’y étaient prêtées. Des esprits aussi éminents que Voltaire sont tombés dans ce travers qui conduit à extravaguer comme un pédant. D’une manière générale, les jeunes seront mis en garde contre la sottise d’accepter une opinion toute faite. C’est une des plaies des temps que nous vivons, avec une légèreté coupable, des hommes au demeurant instruits et même intelligents, portent, à tort et à travers, les jugements les plus téméraires sur les sujets qu’ils ne connaissent pas. On en voit qui poussent l’outrecuidance jusqu’à vouloir apprendre aux autres ce qu’ils ignorent eux-mêmes et discourir à perte de vue sur un livre à la seule lecture de son titre. Connaît-on plus déplorable paresse intellectuelle ? Voyez ce qui se passe, par exemple, en matière d’économie politique. Les gens tranchent de haut sans y regarder de près, pour paraître informés, ils répètent ce qu’ils ont entendu dire en adoptant de préférence le point de vue des pontifes. On semble se hâter de faire la synthèse de peur d’avoir à faire l’analyse. Bien entendu, leurs jugements sommaires sont presque toujours stupides. Ils font sourire comme ceux de ces journalistes en délire qui peuvent traiter n’importe quel sujet, n’importe comment, en autant de lignes qu’on le désire. Beaucoup de nos littérateurs excellent à ce petit jeu. Les jeunes gens devront comprendre qu’avoir réponse à tout est la marque des ignorants.

On développera chez eux la faculté d’observation, qui réclame à la fois de la mémoire et de l’imagination. Voir, rapprocher, comparer, interpréter, déduire, comprendre et généraliser : tout cela réclame de la logique, de la méthode, de la coordination.

(Extrait de « Demain »)

En définitive, l’éducateur apprendra aux hommes à être simples et naturels. C’est une qualité facile à acquérir quand les intérêts ne poussent pas constamment à passer pour ce qu’on n’est pas, à mesurer ses paroles et ses pensées. A l’illusion qu’on veut donner de soi, comme c’est malheureusement recommandé si l’on a un rang à tenir ou son chemin à faire dans une carrière. Quelques-uns de nos contemporains poussent l’individualisme au- delà de la mort, vivent comme s’ils voulaient conquérir l’immortalité ! Il faudra rappeler aux jeunes que les hommes dont on parle plus de huit jours après leur dernier soupir, sont excessivement rares par rapport aux milliards d’autres qui sont instantanément oubliés...

Ce n’est donc pas parce que nous serons parvenus à une éminente dignité que notre nom ne sombrera pas dans la mémoire de nos successeurs. Le régime de l’abondance nous délivre de cette pose continuelle qui nous oblige à vivre en perpétuelle alerte de peur d’avoir trop dit ou pas assez. On ne se sentira vraiment à l’aise que lorsqu’on aura mis tout le monde à l’aise avec soi.

L’éducation substituera dans l’esprit des enfants l’idée de justice à celle de charité qui fait partie intégrante de la rareté. On leur rappellera que le regime dans lequel vivaient leurs parents avait élevé l’hypocrisie plus haut que le mont Everest. Le libéralisme économique obligeait la plupart des hommes à s’indigner en paroles à la vue de toutes les inégalités sociales ; à faire de belles lois sur la propriété sans se soucier de ceux qui ne possèdaient rien ; de belles lois de justice sans égard pour ceux gui n’avaient rien à défendre ; de belles lois de liberté pour celui qui, s’il ne trouvait pas à vendre son travail dans la fournée, n’avait plus qu’à mourir de faim. La jeunesse de demain aura peine à faire croire que les gens organisaient de belles fêtes pour s’amuser au profit des pauvres et que c’était là leur conception élégante et pratique de l’exercice de la charité.

Ainsi l’on affectait une piété, des vertus, de nobles sentiments qu’on n’avait pas. La charité, même lorsqu’elle est pratiquée largement, laisse subsister l’injustice Tel donne à pleines mains qui n’oblige personne. A tout prendre, l’aumône n’est qu’un acompte versé à un créancier pour le faire patienter.

Au contraire, l’abondance créant une société d’égaux sous le rapport économique, les hommes ont tous le même droit au développement de leur personnalité. Chacun comprend alors le droit des autres et respecte le prochain comme il souhaite que le prochain le respecte lui-même, car, chez tous les hommes, en dehors des inégalités physiques, existe un caractère commun : la conscience. Elle donne à tous la qualité d’homme. C’est cette conscience qui mérite le respect, de sorte que le fondement de l’égalité, c’est la conscience elle- même.

(Extraits de « Demain »)

LES LOISIRS.

EN économie distributive, les besoins intellectuels pourront être pleinement satisfaits, car l’épanouissement de la personnalité exige non seulement la sécurité matérielle, mais encore un niveau de vie élevé. C’est indiscutablement une civilisation de loisirs que le labeur des générations précédentes nous a préparée. Ils ont fait leur entrée dans le monde moderne par la porte basse du chômage. Mais, sans moyen d’existence, le loisir, c’est la misère. L’abondance apporte les loisirs payés. Certes, il ne s’agit pas de « déshonorer » le travail, mais de distinguer le travail obligatoire auquel nous condamne la lutte pour la vie, et le travail volontaire qui consiste à travailler à ce qui plaît, et quand cela plaît. Le premier, consacré à la production des biens matériels, deviendra une sorte de servitude temporaire pour permettre le second, celui de l’homme « libre » au vrai sens du mot, pour se perfectionner et s’accomplir. On voit que loisir n’est pas synonyme de paresse ; fouir de ses loisirs, c’est les employer d’une manière intelligente, car il n’existe pas de plus grand plaisir que d’être agréablement et utilement occupé. Or, il est nécessaire de posséder de quoi meubler ses loisirs, ce qui implique une certaine culture : de tous les maux qui, nous affligent, l’ignorance n’est-elle pas l’un des plus grands ?

Se doute-t-on de ce que représente l’instruction mise à la portée de tous les cerveaux ? Il faut se rappeler que tout le patrimoine intellectuel, qui nous émerveille, n’a été construit que par un tout petit nombre de gens instruits : deux à trois pour cent en moyenne dans chaque génération. Quand tous les hommes seront cultivés, les sciences progresseront encore dans une mesure que personne ne peut soupçonner. C’est donc un énorme programme d’instruction et d’éducation que nous devons résoudre, impliquant une refonte complète de l’enseignement à tous les degrés. Dès maintenant on commence à peine à en soupçonner l’étendue... Mais le régime capitaliste n’est même plus capable de faire vivre dignement les professeurs et les étudiants !

L’économie distributive ouvre toutes grandes les portes de l’immense secteur où l’homme pourra exercer son habileté, son talent, satisfaire ses aoûts et ses préférences : la phase où il lutte va se perdre dans la brume de la pré-histoire : c’est la phase spirituelle qui s’ouvre devant lui.

(Extrait de « La Grande Relève » du 19 avril 1958)

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