La République déboussolée ou l’art de picorer


par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 31 mars 2008

Il paraît que notre Président de la République, après avoir été porté au pinacle, s’essouffle à force d’être au four et au moulin, de courir après les dossiers, de picorer ici ou là, d’instaurer des comités Théodule, des commissions Rataplan, où une personnalité de son niveau n’a rien à faire, sauf à considérer qu’il ne sait pas déléguer, hors son domaine réservé. On le voit apparaître un jour à Beijing, un peu plus tard dans les Émirats, ou à d’autres endroits de la planète où il sème, tel le petit Poucet, non pas des cailloux mais quelques Airbus, TGV ou autres centrales nucléaires ; à Lisbonne, il se pose en chantre d’une Europe ultra-libérale « simplifiée » … par un traité de plus de 350 pages, pâle copie d’un projet de Constitution rejeté précédemment par référendum. Mais dans le même temps, il se rend à Gandrange en Moselle, où il prend exactement le contre-pied de ce qu’il avait déclaré antérieurement : là ce n’est pas l’ultra-libéralisme qu’il défend, avec son cortège de concurrence sauvage qui aboutit toujours in fine aux fusions-acquisitions et aux plans sociaux, mais d’interventionnisme destiné à maintenir un minimum de production sidérurgique dans une région, la Lorraine , déjà sévèrement touchée par les fermetures d’entreprises ; cette réaction digne d’un B. Thibaut, responsable de la CGT, est que nous manquons désormais d’acier, cet acier que des aigrefins s’échinent à écouler à prix d’or sur un marché clandestin, au même titre que d’autres métaux précieux ou matières premières ; alors, certes, pourquoi le produire à l’étranger ?

 L’ambition européenne

Qu’est-ce qui pousse le président de la République à faire l’apologie d’un nouveau traité Européen ?

Lui-même, ou du moins la France, accèdera à la présidence de cette même Europe pour six mois à compter du 1er juillet prochain. Espère-t-il accéder à ce poste et y demeurer pour deux années supplémentaires, en application du nouveau traité, à partir du 1er janvier 2009 ? Il fallait, pour que la France marginalisée, recouvre un rôle, “débloquer” cette Europe-là, moyennant quelques aménagements mineurs : la belle affaire !

On a évoqué, pour ce poste, la candidature de M Tony Blair ; mais aussi, en dépit de son âge avancé, de M Giscard d’Estaing. D’où, semble-t-il, la précipitation de l’actuel président de la République pour faire adopter un certaine nombre de “réformes” qu’il a en tête, sous le label de la “rupture”. Par la suite, l’Europe issue du nouveau traité requérera toute son attention ; affaire à suivre dans un contexte planétaire en crise, où les experts en tout genre recommandent de mettre des barrières à la spéculation financière ; … par delà la crise des “subprimes”américaines, qui concerne le secteur immobilier, c’est l’ensemble des opérations de crédit qui pourrait être affecté !

Aux États-Unis, cette hyperpuissance minée par le surendettement, les inégalités de revenus s’avèrent de plus en plus flagrantes, la Sécurité Sociale n’existe pratiquement pas, le chômage endémique et la précarité touchent la grande majorité des salariés, alors d’aucuns, dans ce monde devenu fou, misent sur l’Europe pour élaborer une nouvelle donne.

Le traité sur l’organisation de l’Europe devait se démarquer aussi largement que possible des dispositions antérieures, en particulier l’Acte Unique Européen, les Accords de Maastricht, les pactes d’Amsterdam et de Nice, ce dernier introduisant au niveau des États membres un droit de veto bloquant toute décision majeure ; il devait énoncer clairement en quoi l’Europe confédérale des peuples, tout en répondant aux vœux des fondateurs, se différenciait des orientations précédentes ; il fallait faire valider ce traité par une Assemblée constituante des peuples européens et si l’on confirmait la voie du référendum populaire, l’organiser en tout lieu le même jour et à la même heure ! Et, puisqu’on évoquait la réorganisation territoriale de la France, son ajustement aux nécessités de l’heure, évoquée à juste titre parmi les 300 mesures de la commission Attali, il fallait l’inclure dans ce projet, en profiter pour intégrer les dossiers d’actualité des quartiers difficiles, de règles d’urbanismes adaptées au XXIème siècle ; l’ensemble de ce dispositif devant être soumis à un examen global !

En place de quoi, on nous a soumis un catalogue de mesures diverses, à prendre ou à laisser, dans lesquelles une vache ne reconnaîtrait pas son veau ! Les chauffeurs de taxi manifestent, les grandes surfaces son mécontentes, des corporations mettent en avant la défense de leurs intérêts particuliers… en fin de compte, on laissera aux “marchés”le soin d’apprécier et de trouver des solutions en marge des États ; et c’est dans tous les cas le consommateur qui paiera, sans compensations de revenus !

 Les « cercles » du pouvoir

Il devient évident que l’exercice du pouvoir en France se dilue en plusieurs cercles concentriques qui se superposent sans ce confondre ; il n’est pas étonnant que la majorité des simples citoyens que nous sommes ne s’y reconnaît pas et ne semble pas concernée par les directives prises en haut lieu.

Le premier cercle est celui du Président de la République, qui dispose de conseillers “spéciaux” faisant office de gouvernement bis, avec son parlement censé représenter l’opinion publique, composé de comités, de commissions se mêlant de tout, dissertant de tout, disséquant les dossiers les plus divers, même ceux qui dépassent de loin le domaine réservé traditionnel de la présidence de la République.

Le second cercle est constitué par le Premier ministre et son gouvernement qui disposent d’initiatives très limitées, sinon celles d’appliquer au mieux les directives présidentielles.

Le troisième cercle est constitué par le Parlement auquel échoit théoriquement l’initiative des lois. Mais en réalité, il ne fait désormais que transcrire en lois des dossiers qui lui sont soumis.

Le quatrième cercle est celui du peuple, représenté par ses organisations politiques et syndicales, ses associations, etc. Les promesses électorales sont sempiternellement réitérées, rarement concrétisées.

On annonce une hausse du pouvoir d’achat de l’ensemble de la population, fortement érodé depuis une dizaine d’années par la hausse des prix et des prélèvements obligatoires ; on annonce à diverses catégories de salariés, une série de gadgets destinés à accroître leur pouvoir d’achat ; aux bénéficiaires du minimum vieillesse une prime… que dans le même temps on déclare obérée par des caisses vides !

Reconnaissons qu’on n’a pas le courage, en haut lieu, d’entamer une authentique réforme monétaire, de dire aux banques, alors que c’est le moment, qu’en opérant un transfert obligatoire de 0,l % sur les transferts bancaires en faveur du budget national, les établissements financiers concernés participeraient à l’effort de redressement du pays.

 

Quant à la politique extérieure, la France n’a jamais été aussi influente que lorsqu’elle était le héraut des droits de l’homme à travers la planète. Alors que les États-Unis, hyperpuissance triomphante, que l’on présente souvent dans certains milieux, comme un modèle de démocratie et de liberté, se comporte en réalité, au plus haut niveau de son gouvernement, comme un de ces régimes politiques honnis et contestables qu’elle prétend combattre sous l’appellation d’“Axe du mal”. Cette appellation rappelle étrangement ces “puissances de l’Axe” que l’on combattait il y a un demi siècle !

À de multiples exemples, en particulier l’Afghanistan, la Somalie, l’Irak, la prison d’Abou Ghrahib, Guantanamo, la récente approbation officielle de certaines méthodes de torture montre les dérives auxquelles nous ne pouvons souscrire, et que Robert Badinter* a comparées à certaines pratiques de l’Inquisition : elles sont indignes d’une démocratie, quels que soient les prétextes invoqués, y compris les actes de terrorisme sauvage tels que l’attaque du 11 septembre 2001. Telle doit être la démarche des candidats aux Présidentielles américaines ! Comme l’a dit Robert Badinter : « Aux États-Unis, mon souhait serait de voir Hillary Clinton investie par les Démocrates, avec Barak Obama comme vice-président ». C’est également mon point de vue, si l’Amérique veut enfin assumer un destin moins contesté ! Les conditions de la paix mondiale

Écoutant, le 6 février dernier, cet ancien Président du Conseil constitutionnel, sur “Public Sénat”, j’ai eu le sentiment que cet homme politique représentait tout ce que la France avait à dire à l’étranger. M. Badinter, qui fut aussi avocat, plaidait pour une extension internationale des droits de l’Homme. En ce sens son combat relève d’une magistrature suprême ; l’ancien Garde des Sceaux est l’homme d’une culture incommensurable ; il eut le courage de présenter à François Mitterrand un projet d’abolition de la peine de mort, en un temps où cette démarche n’était pas encore entrée dans les mœurs. Ce protestant austère mérite les honneurs de la plus haute charge de la République à laquelle il ne fut jamais personnellement candidat.

Nicolas Sarkozy a sans doute estimé qu’en tentant d’amadouer G.W. Bush, en caressant la bête dans le sens du poil, il pourrait s’attirer ses faveurs et obtenir des concessions sur d’autres fronts. Ce en quoi il se trompait. On peut certes faire l’éloge du peuple américain, lui dire notre amitié, lui exprimer notre considération, mais on ne peut transiger avec le mensonge d’État (en Irak), la violence, la guerre, la torture. G W Bush, à l’issue de deux mandats, est totalement déconsidéré par son opinion publique : personne n’ose se réclamer de lui. Il a réussi en outre à inonder le marché sud-américain, en particulier le Mexique, de maïs transgénique, exploité sur une large échelle dans des latifundias, acculant les petits paysans à la faillite et les contraignant à s’entasser aux abords des grandes villes, puis à fuir vers le territoire américain. Pour les en empêcher, un mur de 1.200 km a été édifié, depuis mai 2006, le long de la frontière mexicaine. Pourchassés conjointement par la police des deux pays, ces transfuges comptent tous les jours dans leurs rangs des dizaines de morts.

Et ce mode opératoire avait déjà inspiré aux dirigeants israëliens, fidèles alliés de l’hyperpuissance américaine, l’idée d’enfermer les irréductibles Palestiniens à l’intérieur de territoires délimités par des murs, et où ils sont entièrement dépendants d’eux pour leurs approvisionnements vitaux en énergie, eau et électricité et pour leur simple survie par le travail. En outre, les Palestiniens sont divisés entre eux. L’instauration d’un État Palestinien en peau de léopard constitue néanmoins l’échéance ultime envisagé par les grandes puissances. Mais, quoi qu’il en soit, par son soutien au grand Israël, la démocratie américaine n’a jamais favorisé une issue diplomatique durable à ce douloureux conflit, matrice des affrontements actuels ou prévisibles au Moyen Orient. L’Union méditerranéenne prônée par Nicolas Sarkozy trouve là, et au Liban, ses limites. G.W. Bush s’est enlisé en Irak, et au prix de 1.500 milliards de dollars, dans une guerre interminable et impensable ! Et je ne cite que pour mémoire les autres conflits déclenchés : en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Somalie et placés sous l’égide de l’OTAN. Alors qu’on accuse aujourd’hui l’Iran, comme hier l’Irak, de vouloir se doter d’armes de destruction massive, y compris nucléaires, on se garde bien de crier sur les toits de Washington qu’Israël est également une puissance nucléaire, mais on révèle qu’Israël se prépare un stock d’armes nucléaires miniaturisées capables de frapper l’Iran. S’il en était ainsi, ce serait déclencher, dans un proche avenir, en Palestine (Hamas), au Liban, en Syrie et dans d’autres États, un processus de rétorsion dont nous ne pouvons pas mesurer l’ampleur ; ce serait l’amorce d’un conflit généralisé.

D’autre part, il va bien falloir un jour renégocier le traité de non-prolifération nucléaire, que la France a signé en 1992, et qui accorde à quelques grandes puissances le bénéfice d’armes de destruction nucléaire refusé à d’autres. C’est ce que réclament certaines puissances émergentes, en particulier l’Iran.

C’est une échéance à étudier sérieusement.


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