La bonne conscience
par
Publication : décembre 1980
Mise en ligne : 8 octobre 2008
SOUS ce titre, que « Le Monde » du 15 décembre 1970
a publié en « Libres Opinions », je déplorais
que, depuis la fin de la guerre, les « antifascistes » de
France et d’ailleurs n’aient pas hésité à conforter
le régime franquiste par leurs vacances en Espagne (« parce
que c’est moins cher que chez nous ») et leurs investissements
dans les promotions immobilières, hôtelières, touristiques
et bancaires (« parce que c’était rentable »). La
conclusion était que, aveugles et pusillanimes pendant 25 ans,
ces combattants de la liberté l’avaient trahie par leur comportement,
puis soutain « découvraient l’Espagne », à
BURGOS d’où un procès inique déclenchait enfin
les passions et... la lumière. Les résistants espagnols
m’apprirent plus tard que cet article avait été traduit
et diffusé dans tout le pays. Les événements actuels
démontrent bien le poids de l’extérieur sur l’économie
espagnole.
Aujourd’hui, nous découvrons l’URSS, à KABOUL. Il a fallu
l’Afghanistan, il a fallu SAKHAROV pour que s’organise la protestation,
que s’affirme le refus, le refus des relations commerciales et culturelles,
le refus des Jeux Olympiques. Il a fallu 25 ans, depuis la dernière
guerre, pour qu’une partie du monde proteste clairement contre l’asservissement
de peuples satellites, contre les procès, les goulags, les hôpitaux
psychiatriques, les bannissements, les privations de situation et de
travail, les interdictions de circuler dans le pays et d’en sortir,
tout ce qui est contraire à toutes les Chartes et à tous
les accords, de l’ONU à HELSINKI, aux élémentaires
droits de l’homme dans tout pays civilisé, il a fallu 25 ans
pour la manifestation du refus.
Non, la guerre n’est pas la solution, la guerre ne sera jamais plus
une solution : le napalm apatride a grillé les Vietnamiens qui
se voulaient communistes comme il carbonise les Afghans qui s’y refusent.
Pour rien. La guerre ne résout que les problèmes commerciaux
posés par le système marchant : il faut des débouchés
pour pouvoir ventre, il faut consommer pour pouvoir produire. Or il
y a peu d’années Charles LEVINSON (1) a écrit que les
échanges entre les deux blocs avaient pris une telle ampleur
qu’ils rendaient impensable, parce qu’inutile, la guerre : échanges
commerciaux (des pays d’Amérique du Sud, transformés en
boucheries anti-communistes, livrent leur blé à l’URSS),
échanges de services, technologiques, scientifiques (quant les
savants ne décident pas de rester chez eux) . A noter . lorsque
deux adversaires possèdent : les moyens de détruire dix
fois la planète, la preuve est faite que les fabrications d’armements
ont d’autres buts que leur utilisation : à l’Ouest, le complexe
militaro-industriel défend des intérêts très
précis ; de l’autre côté « la course »
se justifie par l’encerclement hostile, depuis la naissance des soviets,
et la volonté de propagation universelle de l’idéologie.
Il paraît possible de prétendre qu’une idéologie
est discutable lorsque ses résultats matériels, dans une
partie du monte entièrement soumise à sa loi, n’ont en
60 ans pas mieux progressé. En face, depuis 1929, la libre entreprise
- jointe aux jeux de la bourse et du hasard - n’a encore provoqué
qu’une guerre mondiale, et beaucoup d’autres qui se succèdent,
et deux crises économiques dont l’actuelle empire tous les jours
: de bons esprits pensent la résoudre par la guerre nucléaire.
Il paraît possible de proposer que les chefs des pays concernés
- il s’agit des deux blocs qui se terrorisent, et du reste du monte
qui pâtit de cette situation -, que les responsables de tous les
Etats du monde se réunissent le plus tôt possible pour
organiser la vie de la planète. Sur deux thèmes.
- Il est mal envisageable que 500 millions d’êtres humains meurent
de faim dans les années 80 (2). L’argent prévu pour les
armements sera reporté sur la production, le transport et la
distribution gratuite des produits nécessaires à la survie
des condamnés.
- La preuve étant ainsi faite que la vie (et le bonheur) des
hommes n’est pas nécessairement liée à leur commerce
et à leur profit pécuniaire, l’idéologie nouvelle,
devenue commune aux blocs et au Tiers-Monte, se concrétisera
dans les efforts de la production, de toutes les productions de paix,
en vue de la satisfaction des besoins des hommes, de tous les hommes.
Le premier thème sera combattu par l’évocation du chômage
(probablement 20 % des travailleurs) provoqué par l’arrêt
des armements, et de la débâcle des « balances de
paiements » des pays concernés. La riposte sera : pourquoi
discourez-vous depuis 35 ans sur le désarmement puisque le chômage
et votre système des échanges le rendent impossible ?
La solution sera : les principes nouveaux et l’économie nouvelle
qui permettront d’assurer l’existence des sinistrés de la faim
assureront aussi l’existence des sinistrés qui, à l’Est
comme à l’Ouest, risquent de ne plus manger parce qu’ils risquent
de ne plus travailler.
Le second thème sera combattu par l’évocation de la concurrence,
mère du progrès ; et du profit, moteur du travail. La
riposte sera : la concurrence est devenue mortelle sur le plan national
(faillites dues aux bas salaires « d’ailleurs ») et sur
le plan international (le Marché Commun - ses vins, ses légumes,
ses fruits, ses moutons -, la sidérurgie et l’automobile - leurs
crises, leurs craintes d’avenir -) ; et le profit aggrave les inégalités
entre les hommes. La solution sera : travailler pour produire, et non
plus pour « gagner ». Produire pour consommer, et non plus
pour « vendre ».
- Vous prétendez changer le monde en cinquante lignes ?
- Vous préférez le voir détruit en cinquante secondes ?
A vous de jouer.
(1) Dans « VODKA-COLA » (voir G.R. n° 756).
(2) « Le Monde » du 18 juillet 1980.