La crise des subprimes : de quoi s’agit-il ?

Dossier : les subprimes
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 29 février 2008

Comment la finance a-t-elle désormais les moyens d’imposer sa dictature au monde entier ?

Nos lecteurs savent que dans son livre, publié l’an dernier aux éditions du Sextant, Mais où va l’argent ? Marie-Louise Duboin rappelle les transformations, souvent obscures, qui a ont abouti à cette négation de la démocratie. Elle en tire un cri d’alarme contre ses dangers.

La crise dite des “subprimes” en est l’illustration.

Et comme cette crise est à l’origine d’un cataclysme, qui, même si on nous affirme le contraire, n’a pas fini d’avoir de lourdes conséquences sur l’économie réelle du monde entier, nous essayons, ci-dessous, d’en montrer les mécanismes, de deux façons : d’abord le plus simplement possible, puis à l’aide d’une vulgarisation imagée :

  Sommaire  

Cette crise des subprimes est d’abord l’illustration de la liberté dont jouit n’importe quelle banque pour ouvrir des crédits comme bon (pour elle, bien sûr,) lui semble, et, en particulier, de la légèreté des banques américaines, qui sont à l’origine de cette crise, en matière de crédits fonciers. Elle est, ensuite, la conséquence de la liberté laissée aux banques de vendre les risques qu’elles ont pris, sous forme d’un “paquet de titres” si bien ficelé que l’acheteur ne peut pas savoir exactement ce qu’il achète. Enfin, elle est la preuve des difficultés qu’ont les banques centrales à maintenir la confiance dans le système bancaire. Et on va en découvrir peu à peu les conséquences dans l’économie réelle.

L’article de Frédéric Lordon, publié par Le Monde Diplomatique en septembre 2007, intitulé judicieusement Quand la finance prend le monde en otage, analyse bien cette progression, qui devrait pourtant interdire définitivement qu’on puisse faire confiance à la finance pour mener le monde.

 

Au commencement était, après l’éclatement de la “bulle internet”, l’impératif pour les banques de trouver de nouveaux moyens de faire gonfler leurs capitaux. Leur choix se porta pour cela sur le secteur de l’immobilier. À cette fin, il fallait donner l’impression aux investisseurs que le marché immobilier était en hausse et allait le rester longtemps. Et pour cela, il fallait pousser de plus en plus les ménages américains à emprunter pour acheter leur maison en l’hypothéquant. Il leur fut facile, pour y parvenir, de jouer sur leur rêve de propriété.

Quand le “contingent” des emprunteurs “sains” fut épuisé, les démarcheurs sont allés séduire et convaincre des ménages moins fortunés. Comme le marché immobilier était ainsi maintenu florissant, ils ont pu faire croire aux acquéreurs potentiels, mais dont la solvabilité était douteuse, que s’ils avaient du mal à rembourser, ils pourraient toujours revendre leur maison avec une plus-value plus que suffisante.

Alors les banques sont allées plus loin, juqu’à inciter des ménages qui n’avaient ni emploi, ni autre revenu, ni aucun “actif” en garantie, à leur emprunter quand même pour acheter une maison dont elles ont, évidemment, pris l’hypothèque. Toutes les limites du risque ont ainsi été franchies.

 

Mais les banques ont d’autres cordes à leurs arcs, car le risque est leur domaine. Elles ont mis au point le moyen pour elles de tirer aussi profit des risques qu’elles prennent en ouvrant des crédits. Ce truc consiste à refiler ces risques en en faisant des paquets bien ficelés : par un procédé dit de titrisation, elles regroupent plusieurs lignes de crédits en un seul “titre” qu’elles mettent en vente sur le marché des produits dérivés. Et quand des investisseurs achètent leurs titres, les voilà débarrassées de leurs crédits douteux : leurs acheteurs se les partagent !

Les raisons pour lesquelles des investisseurs achètent ces titres sont diverses. Il y a le fait que c’est le métier des “traders” de spéculer sur les risques, et qu’ils sont très nombreux ; à elle seule la Société Générale, par exemple, en a environ 4.000 qui opérent pour elle. Soulignons au passage que ces traders, qui changent constamment, sont comme les joueurs de jeux vidéo : ils ont tellement l’habitude de tirer sur tout ce qui bouge sur leurs écrans qu’on peut craindre qu’ils agissent ensuite de même dans la réalité, sans plus voir la différence avec leur fiction.

Notons au passage qu’à ce stade du montage financier le contact est totalement perdu entre les transactions opérées sur ces marchés et les réalités sous jacentes.

Or les choses se compliquent encore ensuite du fait que ces acheteurs vont eux-mêmes émettre de nouveaux titres, également négociables, et en mélangeant encore les divers crédits immobiliers. Ce mélange de titres n’est pas totalement le fruit du hasard, car certains paquets sont étiquetés plus risqués que d’autres par les agences de notation. Il y a, en gros, trois “tranches” : une relativement plus sûre, notée AAA, une tranche intermédiaire et puis celle que les marchés qualifient du terme anglais d’equity, ou plus franchement de “déchets toxiques”, qui contient les plus risqués des dérivés des titres les plus risqués émis initialement par les banques de l’immobilier. Plus c’est compliqué, plus c’est réservé aux initiés !

Or il y a des acheteurs qui se spécialisent dans les plus gros risques, précisément parce qu’ils sont réputés pouvoir rapporter plus. C’est la spécialité des “fonds pourris” (hedge funds en anglais) de les choisir précisément parce qu’ils sont moins chers à l’achat et que, puisque le marché immobilier est florissant, ils pensent pouvoir les revendre beaucoup plus cher. Ainsi pour eux ces déchets toxiques sont une mine d’or, qui leur font faire des profits faramineux. Et tant que les courtiers immobiliers continuent de recruter de nouveaux emprunteurs, les risques sont oubliés ! Et comme le prêteur immobilier peut se débarrasse de ses risques, il continue à recruter en ouvrant des crédits de plus en plus douteux.

 

Une telle construction, tellement illusoire, est évidemment fragile. Il faut très peu pour que le doute s’installe. Par exemple, la plus petite augmentation du taux d’intérêt se traduit par des mensualités qui deviennent insupportables pour beaucoup d’emprunteurs, par la défaillance des plus dépourvus, et par plus de difficulté pour en trouver de nouveaux. Alors les prix de l’immobilier commencent à baisser, les emprunteurs s’aperçoivent que la plus-value qu’ils avaient espérée de la revente de leur bien s’est évanouie, et qu’ils vont même avoir du mal à le vendre.

Il a suffi qu’un, puis deux courtiers immobiliers américains soient ainsi amenés à mettre la clef sous la porte pour que les déchets toxiques se mettent à sentir mauvais. Et qu’on s’interroge sur la façon dont les paquets de titres ont été étiquetés par les agences de notation. Puis qu’on s’aperçoive que ces agences avaient surévalué les notes qu’elles mettent aux paquets de titres proposés par les institutions financières (qui les paient), pour avoir d’autres paquets à noter. Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette…

Alors le petit vent de panique se transforme en tempête sur toute la planète, car tout s’enchaîne vite du fait de la mondialisation et de la suppression de tout frein à la liberté de mouvements des capitaux. Dès qu’un acteur du marché tente de se dégager en vendant ses titres, le doute, puis la crainte, s’installent chez les autres. La liquidité qu’on croyait assurée se fige, puis très vite se gèle, et c’est la dégringolage des cours. L’inquiètude, qui concernait d’abord les titres les plus risqués, contamine aussi les autres tranches, même celles réputées les plus sûres. Alors non seulement tous les opérateurs veulent se débarrasser de leurs titres immobiliers, mais la panique gagne les autres secteurs financiers : la défaillance de l’immobilier entraîne celle de secteurs qui n’ont rien à voir, sinon que des excés tout aussi pendables s’y sont également commis.

 

Ainsi les banques, qui avaient cru se débarrasser de leurs crédits immobiliers par le jeu de la titrisation, ont tout de même subi un retour de manivelle. Le risque hypothéquaire qu’elles avaient cru chasser par la porte est revenu par la fenêtre du fait qu’elles ont laissé leurs fonds de gestion se charger de produits dérivés.

Et le doute s’étant introduit sur la solidité de certaines d’entre elles, la méfiance entre les banques s’est installée, de sorte qu’il leur est devenu difficile de se refinancer sur le marché interbancaire et qu’elles ont du demander des liquidités à la Banque centrale. De plus leurs capitaux propres ont été réévalués à la baisse par les agences de notation, alors qu’elles doivent maintenir un taux de couverture (ratio de solvabilité de 8 %) entre leurs capitaux propres et leurs engagements de crédits. Elles ont donc été amenées à réduire leurs ouvertures de crédits, ce qui était pour elles un coup de frein, donc un manque à gagner.

La Banque centrale américaine, la Fed, est venue à leur secours : pour relancer leurs crédits, elle a baissé ses taux directeurs. C’était accepter de réparer les folies du système bancaire, donc l’encourager à en faire d’autres, tout aussi impunément.

Mais ce fut insuffisant. Pour l’économie réelle, alors même que ses acteurs n’ont rien à voir avec les turpitudes de la spéculation financière, une diminution du crédit c’est automatiquement la récession. Alors pour éviter cette catastrophe économique l’administration de G.W. Bush vient de décider de réinjecter la bagatelle d’une centaine de milliards de dollars dans l’économie américaine.

 

Que les Banques centrales soutiennent le système bancaire, c’est leur affaire.

Mais que les gouvernements laissent aux banques la faculté d’ouvrir les crédits dans leur propre intérêt, qu’ils s’interdisent à eux-mêmes d’user de cette faculté au service de l’intérêt général, ce sont deux dénis de démocratie. Et le comble est atteint quand ils encouragent leurs abus en les cautionnant, car c’est mettre les États au service des banques.

Continuons donc à exiger le contraire.


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