Le mondialisme ou la mort
par
Publication : août 1981
Mise en ligne : 29 mai 2008
LA décolonisation politique, qui vient pratiquement de s’achever avec l’accession du Zimbabwe à l’indépendance, a malheureusement été suivie à peu près partout d’une colonisation économique plus pernicieuse, plus diffuse et certainement pas moins nocive. L’aide des pays industrialisés aux pays en voie de développement, parce qu’elle était plus dictée par l’intérêt des premiers que par les besoins des seconds, a conduit ces derniers à orienter leur production vers l’exportation et non vers la satisfaction des besoins vitaux de leurs populations.
La situation actuelle
Le résultat est une situation absolument dramatique qu’on peut résumer par deux seuls chiffres en 1975, dans les pays à revenu faible, où le revenu moyen par habitant et par an est inférieur à 1 050 francs français, un milliard deux cent millions de personnes ont une « existence précaire qu’une marge étroite sépare de la catastrophe absolue ». Et la situation de ces pays s’est détériorée dans les années 70 : alors que leur croissance, faible, ralentissait de façon continue, l’aide internationale était plus que contrebalancée par la baisse du pouvoir d’achat de leurs exportations...
Les ressources
Une étude récente vient de faire le point des travaux nécessaires pour nourrir convenablement tous les être humains, d’ici l’an 2000. Tenant compte de ce que la production alimentaire suffisante n’est pas la seule nécessité, mais qu’il faut améliorer la conservation et le traitement des aliments, cette étude, publiée par Nevin Scrimshaw et Lance Taylor, et d’où il résulte, en particulier, que moins de la moitié de la surface des terres cultivables est exploitée, conclut à la nécessité d’investir environ 400 milliards de francs (soit 80 milliards de dollars) dans l’agriculture des pays en voie de développement.
Deux chiffres éloquents
Ce chiffre de 80 milliards de dollars à investir est à
rapprocher d’un autre : de 1973 à 1980, les pays (non pétroliers)
en développement ont emprunté 332 milliards de dollars
et ils ont dû payer pour le service de cette dette, au cours de
la même période, 338 milliards de dollars, soit 6 milliards
de dollars en plus que le montant des emprunts obtenus !
Et l’augmentation des taux d’intérêts, lancée par
la politique Reagan, pénalise aujourd’hui encore plus les pays
du Tiers-Monde. Bien plus que l’augmentation du prix du pétrole.
Les pays en développement sont obligés de chercher 100
milliards de dollars par an pour payer le service de leurs dettes.
L’impasse
C’est ainsi que l’économie de marché conduit le monde dans une impasse : le quart de sa population est menacé de mort, ses ressources naturelles sont pillées par l’ignorance des uns et la cupidité des autres, tandis qu’on dépense un million de dollars par minute (plus de 500 milliards de dollars par an) pour des armements monstrueux. Nous sommes dans une situation explosive.
Des voix s’élèvent
Le salut ne peut venir que de l’abandon des règles édictées
par la finance, au plan mondial.
Citoyenne du monde, je me réjouis de constater que de toute part
des voix s’élèvent en ce sens.
Lesquelles seront entendues ?
Celles qui font appel au désir de justice et d’équité,
telle la déclaration faite à l’issue de la sixième
session extraordinaire de l’O.N.U., réclamant un nouvel ordre
économique mondial pour substituer au système actuel «
caractérisé par l’injustice, la domination, la dépendance,
l’égoïsme et une aide... mal conçue » de nouvelles
règles du jeu fondées sur « la justice, l’égalité...
l’interdépendance, l’intérêt commun et la coopération
» ?
Celles des scientifiques, tels N. Scrimshaw et L. Taylor cités
plus haut et qui soulignent « mais surtout il faudra une plus
grande justice sociale, c’est-à-dire une répartition plus
équitable des revenus au sein des pays en voie de développement
» ?
Celle des économistes, par la « récente prise de
conscience par la communauté internationale des effets négatifs
de l’ancien ordre économique mondial sur les bases productives
de l’économie », comme le souligne K. Dadzie dans «
Scientific American », qui conclut : « l’enjeu de la partie
qui se joue actuellement est important pour les pays industriels comme
pour les pays en voie de développement... La réponse au
problème du développement requiert une politique internationale
de survie de l’humanité, fondée sur une certaine compréhension
mutuelle et des politiques gouvernementales lucides et courageuses »
?
Celles de l’intérêt ? Car, comme le montre A. Angelopoulos,
ancien gouverneur de la Banque nationale de Grèce, non seulement
la limitation du financement permanent des pays du Tiers-Monde conduirait
à un krach financier plus profond que celui de 1929, mais «
deux autres facteurs conduisent l’économie mondiale à
l’impasse absolue : la course aux armements car... au cours des années
80-82, les dépenses militaires doivent augmenter deux à
trois fois plus vite que la croissance économique ce qui apportera
de nouvelles pressions inflationnistes, ... et l’augmentation permanente
des dépenses d’assistance aux chômeurs... qui a des conséquences
néfastes sur l’activité économique ».
*
Le problème est bien posé et il est urgent : c’est l’économie distributive au plan mondial ou la mort.