Le travail tue plus de 5.000 personnes par jour. Qui s’en préoccupe ?

Réflexions sur la sécurité sanitaire
par  M.-L. DUBOIN
Publication : novembre 2003
Mise en ligne : 11 novembre 2006

  Sommaire  

Le dernier rapport du Bureau international du travail (BIT) est accablant : chaque année, deux millions de personnes sont tuées par des accidents ou des maladies liés au travail ; parmi les 270 millions d’accidents constatés, 355.000 sont mortels et on enregistre 160 millions de cas de maladies professionnelles.

Le BIT a fait une estimation des coûts induits : ils s’élèveraient à 1.300 milliards d’euros. Du coup, la Commission européenne incite ses États membres à réduire ces accidents de 15% entre 2003 et 2010.

Que va-t-on faire pour cela en France ? Le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) soulignait de nombreux dysfonctionnements et il insistait sur la nécessité de la prévention des accidents. Et, constatant les difficultés manifestées par les partenaires sociaux à s’engager en ce sens, il suggérait que le risque professionnel soit « sorti de la logique d’entreprise pour s’ouvrir à une logique de sécurité sanitaire »… c’est-à-dire que l’État devrait mieux assurer sa responsabilité en matière de santé au travail.

Quelques dizaines de députés, parmi lesquels A.Madelin, Ch.Boutin, C.Goasgen et J.Myard, ont déposé une proposition de loi visant à réformer l’inspection du travail. Ces députés manifesteraient-ils ainsi leur responsabilité vis à vis de l’hécatombe des accidentés du travail ? Malheureusement, on lit dans leur exposé des motifs que les pouvoirs publics ont trop étendu, à leur goût, le champ de compétence des inspecteurs du travail. Que ces derniers auraient, selon ces élus, « été détournés de leur rôle de contrôle de la législation sociale au profit d’un rôle actif, parfois politique ». L’horreur, donc. De plus, « Ils disposent d’une grande indépendance pour appliquer le code du travail » et nos députés déplorent que la moitié d’entre eux soient « employés dans des directions départementales et régionales à des tâches entravant bien souvent la liberté d’entreprendre ». L’objectif de la loi qu’ils proposent est donc de « recentrer leurs activités, en particulier sur la lutte contre le travail au noir » et de créer un Conseil national de l’Inspection du travail ayant « la faculté de sanctionner les inspecteurs ».

 

Cette initiative ne pouvant rassurer personne sur la prévention, alors qu’elle vient d’une majorité élue pour renforcer la sécurité, inquiètons-nous de la réparation des préjudices causés par ces accidents.

Est-elle correcte et sur qui en pèse la charge ?

Les réponses sont évidentes quand on a bien compris ce que signifie le rejet de tout ce qui pourrait ressembler à du “collectivisme”. Ce mot déclenche, en effet, une véritable répulsion, comme si ceux qui osent le prononcer avaient un couteau entre les dents. Notre système étant anticollectiviste, et c’est grâce à cela paraît-il qu’il est si prospère… les bénéfices doivent être privatisés. Mais par contre, quand il s’agit d’assumer des responsabilités, l’entreprise privée devient, miraculeusement, “collectiviste” sans le dire, car c’est à la collectivité, assurance maladie, collectivités territoriales, mutuelles, qu’il incombe de payer la réparation de ces préjudices. De sorte que cette prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles par le régime général de la Sécurité sociale creuse son déficit de 622 millions d’euros…

Mais il ne s’agit là que d’indemnités forfaitaires. La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a fait une étude pour évaluer ce que coûterait la réparation intégrale des préjudices subis pour tous les accidents et maladies professionnels, quelle que soit leur gravité. Elle est arrivée à près de 2,5 milliards d’euros ; comme c’est beaucoup trop cher, elle ne peut pas l’assurer … Alors, tant pis s’il reste aux victimes la charge des trois quarts des préjudices qu’ils ont subis.

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a trouvé la solution, publiée dans son dernier rapport intitulé « Transformer le handicap en capacité ». Partant de l’idée que de nombreux bénéficiaires de prestations d’invalidité sont capables de travailler, mais en seraient découragés par des politiques gouvernementales inadaptées, les auteurs du rapport proposent, pour les aider à trouver des emplois, des réformes telles qu’assouplir des règlements afin de leur permettre de cumuler leurs prestations avec les revenus d’un travail, ou inciter les employeurs (par des cadeaux fiscaux, des dispenses de payer des cotisations sociales ?) pour qu’ils acceptent de les employer, et enfin, c’est le comble, … d’obliger les personnes handicapées, celles qui le peuvent, à rechercher un emploi.

Etre ainsi, d’une certaine façon, condamné aux travaux forcés, est-ce vraiment la réparation et le genre de réinsertion que souhaitent les personnes handicapées ?

 

Cela ne correspond pas à l’engagement du Président de la République, qui a promis de faire de l’insertion des personnes handicapées l’un des trois grands chantiers de son second mandat, et qui vient de déclarer : « La loi d’orientation consacrera le droit à la compensation, afin que chaque personne handicapée puisse réaliser son projet de vie à domicile ou en établissement ».

Et ce n’est pas non plus l’avis de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), qui demande au contraire qu’on rende les personnes handicapées maîtresses du choix de leur parcours de vie. La possibilité de vivre en citoyens à laquelle ils aspirent, ce qui est légitime, ne saurait, affirment-ils, résulter de ces simples dialogues sociaux patronat-syndicats qui décident de réformes contractuelles. Ils réclament une loi, donc commune à tous, qui engage la garantie de l’État. Et pour cela qu’on cesse de ternir les citoyens éloignés du débat, ce qui serait, ajoutaient-ils au lendemain des dernières élections, une bonne réponse à « l’abstension civique qui saisit nos démocraties modernes ».

On voit que cette association, qui compte plus de 250.000 adhérents (soit presque autant que l’UMP et le PS à la fois, lesquels en annoncent respectivement 150.000 et 120.000) et qui projette de se transformer en “Association des accidentés de la vie”, est très proche, sur le plan humain, des aspirations des distributistes.

(d’après les documents transmis par Frédéric Sodar.)

P S. Marie-Louise Duboin a été très émue du fait que plusieurs lecteurs se soient inquiétés de ne pas avoir vu sa signature dans notre dernier numéro. Elle les en remercie et précise qu’elle y a rédigé le dossier sur le pétrole, mais l’ayant fait à l’aide de documents envoyés par des lecteurs, elle a estimé ne pas en être vraiment l’auteur(e). Même chose pour l’article ci-dessus.


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