Les banques et la viande hachée

Dossier : les subprimes
par  Jean-Louis
Mise en ligne : 29 février 2008

Faisons maintenant un parallèle avec une crise sanitaire :

 Le règne des bulles

1) Le capitalisme financier actuel se fonde sur une création de bulles successives qui sont une augmentation très supérieure à « l’inflation » officielle des prix de certains trucs qu’on appelle des actifs.

2) Ces bulles sont elles-mêmes possibles et créées par la mise en place (depuis des décennies) d’un système monétaire et bancaire qui crée de la monnaie à gogo sur la base de rien de tangible. L’argent nouveau est créé « out of thin air » (à partir du vide) par les banques commerciales et les Banques centrales, dont la Banque Centrale Européenne (BCE) et la Réserve Fédérale américaine (Fed). Cet argent nouveau (qui accroît la masse monétaire) est créé par les crédits à intérêts faits par les banques. Comme les banques ne prêtent jamais l’argent nécessaire pour payer les intérêts, mais seulement le capital, les intérêts ne peuvent finalement être payés que par octroi de nouveaux prêts, et ainsi de suite. D’où la nécessité de « croissance » économique sans fin pour (tenter de) suivre la croissance monétaire encore plus énorme et sans fin. D’où aussi la croissance permanente de la dette publique qui est la conséquence directe de ce que les États ont donné les clés de la monnaie aux banques commerciales et centrales [1] et doivent donc, eux aussi, emprunter au privé pour les infrastructures publiques !

3) Pour que le système continue de marcher, c’est comme le vélo, il ne faut jamais s’arrêter. Mais c’est pire que le vélo, car il faut en plus que la vitesse s’accélère...

4) 1996-2000 : bulles boursière de la “Nouvelle Économie” et des “start-up” Internet. Les prix des actions augmentent (alimentés par des prêts d’argent frais qui vont faire monter les Bourses) jusqu’au moment où ça crève. Remède : la Fed et la BCE baissent leurs taux et arrosent l’économie et les marchés financiers d’argent frais... elles alimentent ainsi une nouvelle bulle mondiale, celle de l’immobilier.

5) les premiers acheteurs de maisons sont assez solvables et les prix encore bas. Tout va bien. Puis on remonte dans la liste des « scorings » ou critères d’attribution des prêts : acheteurs moins solvables et prix en hausse, donc crédits plus importants. ça passe encore. Pour que les banques retrouvent leurs billes, il ne faut surtout pas que les prix de l’immobilier baissent (principe du vélo), donc on va aller chercher les gens les moins solvables et leur faire miroiter la lune. Les prix de l’immobilier explosent, les loyers aussi, les « pauvres » -relatifs- se laissent convaincre et s’endettent à mort : 500.000 dollars de prêts sur 30 ans, l’achat est financé à 100 % par le prêt et à taux variables... ça finit par craquer (prêt subprimes).

6) Ces prêts subprimes sont le haut de la pyramide de dettes accumulées.

Les banques savent depuis le début que ces prêts sont vérolés et que bon nombre de gens ne pourront pas rembourser. Mais s’arrêter c’est tomber dans ce système délirant. L’astuce qu’elles utilisent toutes c’est de refourguer ce que les gens « subprimes » leur doivent à d’autres couillons, donc de diluer la merde.

Là démarre le parallèle avec une crise sanitaire organisée.

 La viande hachée

L’industrie financière, depuis quelques années, fonctionne comme une fabrique de viande hachée contenant de la viande que certains savent avariée. Le but du jeu est de se débarrasser de la viande avariée avant la crise, comme dans le jeu du mistigri : passe à ton voisin [2] !

A•Le mécanisme général de diffusion de cette viande avariée s’appelle la “titrisation des dettes”, invention génialement dangereuse de la finance moderne. Ou comment continuer (un temps) à faire de l’argent en revendant des dettes ! ça diffuse les risques et ça pousse à en prendre toujours de plus grands... jusqu’au moment où ça éclate.

B• Les crédits subprimes sont la viande avariée. Les banques qui ont accordé ces crédits ultimes ont créé des usines à fabriquer de la viande hachée, pour mélanger habilement de la bonne viande (des crédits solvables) avec de la moins bonne et de la carrément mauvaise. ça s’appelle des SPV (Special Purpose Vehicles). À l’entrée, des prêts (des créances) de qualité donc variables, à la sortie des CDO, des Collaterized Debt Obligations ou « obligations adossées à des dettes ». On appelle ça l’industrie des “crédits dérivés”, en explosion ces dernières années. Bref à l’entrée on trouve de la viande correcte, du gras et de la viande avariée, à la sortie de la viande hachée revendue à d’autres : banques (eh oui !), villes [3], particuliers

C• Cette viande hachée contenant ici et là de la viande avariée à haut risque a été rachetée pour faire des steaks hachés et d’autres plats cuisinés divers. Les SICAV monétaires, dites dynamiques, de nos chères banques en ont ainsi utilisé (transformant une SICAV de bon père de famille en un chouia risqué). En se diffusant dans tout le système financier, la viande avariée est moins visible... mais elle est présente un peu partout.

D• Les clients subprimes ne peuvent plus rembourser à cause de la hausse des taux de la Fed et d’arnaques dans les contrats. On les fout dehors de leur maison, et le rêve éveillé se transforme en cauchemar. Plein de maisons sont à vendre, les prix chutent, les détenteurs des créances ne peuvent plus se payer sur la bête en revendant les maisons (que des villes comme Cleveland décident parfois de détruire [4] pour éviter les squats) !

E• Les crédits non remboursables (la viande avariée) ont été débités en tranche et fourgués dans le système. La panique s’installe. Les banques se rendent compte (elles le savaient en fait, chacune séparément !) que les autres banques ont fait pareil et que plein de produits financiers contiennent la merde. Méfiance réciproque. Plus d’achats. Les banques doivent couvrir des pertes de plus en plus importantes suite à la dépréciation de leurs actifs (ce qu’elles ont en portefeuille et qui contient la viande avariée, que du coup personne ne veut plus acheter, et donc valoriser, comme pour les poulets ou la vache folle à l’époque !).

F• Les banques ne se prêtent plus entre elles et elles ont besoin d’argent pour couvrir les pertes. Crise de liquidité (en août et aussi fin décembre 2007) : les Banques centrales injectent des centaines de milliards pour éviter une panique bancaire (déjà démarrée au Royaume-Uni : les gens affolés retirent leur pognon de la banque Northen Rock ... affaire toujours non réglée, cette banque doit 20 milliards de Livres à l’État anglais !!!) [5].

G• Nouvel épisode le 21 janvier 2008 : Pour refourguer leur viande hachée avariée, les SPV se sont appuyés sur des “rehausseurs de crédits” (AMBAC, MBIA) qui sont une sorte de garantie label rouge (pour poursuivre le parallèle) pour mieux vendre la viande en général aux clients. Mais, il y a quelques jours, on a appris que les rehausseurs de crédit américains sont aussi dans le caca et que leurs labels sont de moins bonne qualité (car eux-mêmes ont mangé de la viande avariée !). Grosse panique (d’où la chute boursière actuelle) car, du coup, ceux qui avaient reçu un label rouge et qui vendaient vraiment de la bonne viande se retrouvent en difficulté (méfiance qui s’accroît, emprunts plus durs pour eux, y compris pour des organismes publics devant investir dans des infrastructures publiques ou sociales utiles !).

Voilà comment le risque s’est diffusé et est sorti d’une sphère financière quasi virtuelle pour toucher « l’économie réelle »... Ce n’est pas nouveau dans le principe, seuls les outils et les ruses changent. Les banques et les marchés financiers s’en sont mis plein les poches depuis des années...

Deux risques principaux : faillites de banques et panique bancaire (le pire pour les particuliers, façon crise Argentine), et crise économique sévère (un peu type 1929) parce que le crédit sans fin sur lequel repose le capitalisme actuel risque de se réduire...


[1Indépendantes des États et de leurs gouvernements, d’après le traité Maastricht et le futur Traité dit simplifié.

[2Lire à ce sujet l’excellent bouquin de Pierre Noël Giraud, Le commerce des promesses, Editions du Seuil,2001. http://econo.free.fr/scripts/printnote.php?codenote=60


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