Nature humaine et économie distributive
par
Publication : juillet 1978
Mise en ligne : 3 septembre 2008
LORSQUE nous exposons les thèses de l’Economie
Distributive à des auditeurs sérieux, il est rare qu’ils
n’en admettent pas les principes tant ils sont évidents, simples
et clairs.
Cependant on nous objecte parfois des arguments d’ordre psychologique
qui méritent d’être pris en considération.
L’objet de cet article est d’en examiner quelques-uns.
Question n° 1 :
Un socialisme distributif, nous dit-on, tel que vous le concevez, bouleverse
fondamentalement les structures économiques et sociales actuelles.
Or, malgré ses imperfections, nous sommes tous plus ou moins
adaptés à ce mode de vie et, ceci, depuis des siècles.
Pour parvenir à l’édification d’une Economie Distributive
un changement total de nos mentalités ne serait-il pas nécessaire
? Et comment l’obtenir ?
*
Jacques Duboin, précisément, a toujours
écrit que l’obstacle le plus sérieux à l’instauration
de nos thèses était l’incrédulité à
leur égard de nos contemporains, y compris et surtout des intellectuels.
Ils pensent toujours à une économie que domine la rareté.
Nous sommes, sur ce point, tout à fait d’accord avec Karl Marx
qui disait que les mentalités ne se transformeront que lorsque
les conditions qui les déterminent à être ce qu’elles
sont seront différentes.
Mais comment y parvenir ? C’est tout le problème.
Si nous voulons sortir de ce cercle vicieux, il nous faut faire admettre
que l’emploi intensif du machinisme, et des techniques modernes de production
et de répartition, est susceptible de créer une abondance
telle qu’elle fera voler en éclat les principes mêmes du
capitalisme ; et changera aussi nos modes de vie.
C’est ce que nous disons depuis plus de 40 ans. Et c’est la base de
nos propositions.
Or, actuellement, les faits nous donnent raison.
On constate, en effet, que le capitalisme dont la « crise »
est structurelle, applique déjà des mesures sociales de
distribution gratuite.
Nous avons énuméré les principales (1).
Elles ont toutes pour effet de fournir du pouvoir d’achat dissocié
du travail. Or, c’est la première de nos propositions pratiques
pour asseoir une Economie Distributive. La mentalité de nos concitoyens
s’en trouve déjà modifiée.
Question n° 2 :
Mais le capitalisme, avec son économie marchande basée
sur le profit, même si sa « crise » est profonde, ne
change pas pour cela ses structures et c’est cependant la condition
primordiale pour l’établissement d’un socialisme véritable.
Que préconisons-nous à cet égard ?
*
La question de savoir comment y parvenir n’est pas
notre propos ni de notre ressort.
Quel que soit, à titre personnel, ce que nos militants puissent
en penser, nous ne discuterons pas des mérites respectifs de
la prise du pouvoir « en catastrophe », ou par la violence
ou encore, au fil des ans, par un réformisme à base électorale,
ou non.
Ce n’est pas l’objet de nos travaux.
D’autres mouvements que le nôtre s’y consacrent ou devraient sérieusement
s’y consacrer.
En ce qui nous concerne tout en dénonçant la faillite
du capitalisme, nous nous contentons de constater que les Partis, les
Syndicats et les Mouvements de gauche n’ont pas fait grand chose pour
transformer les mentalités de leurs adhérents afin de
leur créer un véritable esprit socialiste.
Et notre action doit consister à les pousser dans cette voie.
Nous devons aussi stigmatiser leur cécité devant les conséquences
du surgissement de l’abondance. Elle bloquera un système économique
qui n’est pas plus conçu pour elle que nos villes le sont pour
la circulation - trop abondante aussi - des voitures automobiles.
Question n° 3 :
En supprimant le salariat et en le remplaçant par un Revenu Social
égalitaire, ne fruste-t-on pas le sentiment de différenciation
qui constitue une loi naturelle et restera, de ce fait, une des composantes
profondes de nos mentalités ?
*
Jacques Duboin, qui était loin d’être
un utopiste, a écrit que l’Economie Distributive ne jaillira
pas d’un coup de baguette magique.
Il était convaincu qu’elle s’imposerait d’elle- même, car
les « faits sont têtus » comme disait Karl Marx.
Profondément opposé à l’emploi de la violence,
Jacques Duboin pensait qu’une période transitoire s’imposerait
également avant l’instauration d’une Economie Distributive intégrale.
Certaines de nos propositions pratiques pourraient y être insérées.
Ne parle-t-on pas déjà de l’application pour 1979 d’un
Revenu Familial de base pour les familles de trois enfants ?
Dans cette période transitoire, le Revenu Social égalitaire,
s’il était instauré, pourrait aussi être complété
comme l’ont proposé des disciples de l’Emulation récompensant
les services rendus à la collectivité.
Mais le Revenu Social égalitaire ne produira son plein effet
que lorsque l’Abondance réelle sera telle que ce Revenu, croissant
avec la production, constituera une pouvoir d’achat si important qu’il
nivellera les inégalités sociales. D’autant plus que la
gratuité de certains services y contribuera également.
En tous cas, les « lois naturelles » n’en seraient pas violées
!
Nous croyons avoir répondu, par cet article, à trois des
questions « psychologiques » gui nous étaient posées.
Mais il en est d’autres que nous évoquerons par la suite.
En attendant, nous ne pouvons que conseiller la lecture attentive -
ou la relecture - des ouvrages de Jacques Duboin et de ses disciples.
Ils répondent déjà d’ailleurs à la plupart
des interrogations que l’on peut légitimement se poser sur les
conséquences de l’instauration d’un socialisme distributif de
l’Abondance.
... Et de diffuser « La Grande Relève », où
toutes ces questions sont reprises au fil de l’actualité.
(1) Voir « La Grande Relève » n°755, avril 1978.