Ne jouez pas avec ça !
par
Publication : décembre 1976
Mise en ligne : 13 mars 2008
Dans une récente déclaration faite aux
approches de Noël, le Vatican, vous le savez peut-être, s’est
élevé contre la coutume, si répandue dans les familles
chrétiennes ou autres, d’offrir des jouets guerriers aux enfants.
Cette prise de position de l’Eglise, bien qu’un peu tardive (je pense
à cet évêque de New-York qui bénissait il
n’y a pas si longtemps les bombardiers américains partant pour
le Vietnam) et à laquelle la presse n’a pas donné toute
la publicité souhaitable, ne peut que réjouir le vieux
pacifiste que je suis.
Mais attention ! Au moment où, chez nous, en pleine déprime
économique, M. Raymond Barre a tant de mal à redresser
la situation, à relancer les affaires, à juguler l’inflation,
à créer des emplois, et tout - vous connaissez la chanson
- n’est- il pas à craindre que cela ne vienne compliquer son
boulot déjà ingrat ? Et compromettre le plan qu’il s’est
donné tant de mal à faire tenir debout ? Si les parents
de France se mettent à bouder les jouets guerriers pour leurs
chers petits est-ce que l’on ne va pas créer une crise grave
dans cette industrie bien française ? Je pose la question.
Et j’irai même plus loin. Imaginons - on peut toujours rêver
- que les chers petits anges, frustrés de leurs joujoux favoris,
en viennent, par représailles, à exiger le même
traitement pour leurs parents. Que des fils de militaires, ou d’industriels
de la tôle blindée, confisquent à leur papa de général
ou de P.-D.G. de la mort subite, ces beaux jouets de luxe que sont les
chars d’assaut, les MIRAGE, ou les missiles à tête nucléaire.
C’est du coup que la situation économique, déjà
pas très brillante, sombrerait dans le marasme le plus complet.
Avec tout ce qui s’ensuit, l’inflation, le chômage, et le reste.
On n’en est pas encore arrivé là, je veux bien. Pour l’instant,
la noble industrie des armements se porte à merveille, et ceux
qui en vivent se portent assez bien, merci. Tant pis pour ceux qui en
crèvent. Ou risquent d’en crever. Mais je répète,
pas de blague. N’allons pas compromettre par des initiatives, louables
certes, mais inconsidérées, le redressement entrepris
par le meilleur économiste français - c’est un connaisseur
qui l’affirme - et qui a déjà fait l’unanimité,
contre lui. Ce qui ne s’était jamais vu.
L’industrie des armements, en France comme dans le reste du monde civilisé,
est en plein essor. On ne le sait pas assez. Et c’est une chance pour
la société libérale, avancée ou pas. En
effet, dans un système économique où règne
la loi du profit, les progrès des sciences et des techniques
- oui, je rabâche - en apportant l’abondance, ont foutu la pagaille
sur les marchés de la planète. Car le profit ne peut se
réaliser que dans la rareté.
Depuis la grande crise mondiale - oui, grand-père, continue -
des années 30, les nations industrialisées, dont la France,
ont dû procéder à des destructions de richesses
que l’on ne parvenait plus à vendre, pour sauver l’économie.
Sans beaucoup de succès. La guerre est survenue à point
pour relancer les affaires, résorber le chômage et restaurer
le profit.
Mais tout à une fin. Même les meilleures choses. La guerre
terminée, il a bien fallu trouver un autre truc pour relancer
les affaires. Ce fut la guerre froide, la guerre tiède et les
expéditions coloniales.
Nous en sommes aujourd’hui à la paix armée. Ce qui est
déjà un progrès. Avec de petites gué-guerres
pour entretenir le moral des militaires. Une paix armée où
les forces de l’O.T.A.N. et celles du pacte de Varsovie se défient
avec leur arsenal nucléaire et jouent à « fais-moi
peur ».
La planète est ainsi devenue une poudrière qu’une étincelle,
ou un Amin Dada jouant avec des allumettes - pourrait faire sauter,
et nous avec.
Tant que l’on voit des enfants jouer avec des sabres de bois on peut
en sourire. Mais quand il s’agit d’adultes jouant avec des bombes nucléaires,
rien ne va plus. Il serait temps d’arrêter ce jeu de cons. Mais
qui le fera le premier ?
Certainement pas le libéral avancé qui préside
notre république. Il sait très bien que ce serait condamner
à mort le système économique, et du même
coup se condamner lui-même à aller pointer au chômage.
Ou à se reconvertir, sur la lancée de DEMOCRATIE FRANÇAISE,
dans la bande dessinée.