Offensive néo-libérale tout azimut
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Publication : août 2004
Mise en ligne : 5 novembre 2006
Dans Un combat perdu davance, commentant, en janvier dernier [1], le discours prononcé le soir du 31 décembre 2003 par le Président de la République, dans lequel il faisait de la lutte contre le chômage sa priorité absolue pour 2004, je soulignai que « dans ce combat contre linsécurité sociale, les effets dannonce à la Sarkozy ou la communication à la Raffarin seraient impuissants face aux contraintes imposées par léconomie néo-libérale ». Lanalyse de quelques statistiques mamenait à conclure : « Vouloir répartir un nombre croissant de chômeurs dans un nombre décroissant demplois tout en augmentant la durée du travail relève de la quadrature du cercle. Le problème ne peut se résoudre quen diminuant fortement la durée du travail, tout en allouant à chacun un revenu décent. Or cela ne peut se faire quen redonnant dabord à lÉtat la maîtrise de la création monétaire ».
À peu près en même temps, on pouvait lire dans le bulletin n°14 du Cercle pour un Partage Équitable du Progrès [2] lanalyse suivante, qui rejoint entièrement la notre : « Le Chef la dit pour démontrer la force de ses intentions, Jacques Chirac a même promis de faire voter une loi au Parlement, et de mettre en place de nombreuses autres mesures, dont malheureusement certaines sont déjà passablement usées. Vux pieux, angélisme ou tromperie ? Comme sil ne suffisait que dune loi pour créer des emplois ! Comment la Droite peut-elle croire, après avoir tant critiqué la douteuse loi de modernisation sociale concoctée en son temps par la Gauche, quelle réussira, avec une loi dite de mobilisation pour lemploi ? Cela fait bien 30 ans que dans la marmite sociale, lon touille sensiblement les mêmes ingrédients, et pourtant le chômage saccroît inexorablement. On sait aujourdhui, que des certitudes absurdes, comme augmenter la croissance pour la croissance, ou réduire les impôts, nont jamais eu deffets bénéfiques sur lemploi. Sinon enrichir encore plus les entreprises et les nantis au détriment des salariés et des paumés de la vie. Quand nos politiques comprendront-ils que pour créer des emplois il faut soit créer plus dactivités, soit réduire les horaires ? Il ny a aucune autre alternative !
Et comme laccroissement de lactivité devient de plus en plus aléatoire, il ne reste, quon le veuille ou non, que la Réduction du Temps de Travail. Beaucoup pensent que cette disposition si décriée par le Medef est devenue obsolète. Quelle grossière erreur ! Au train où se développe le chômage aujourdhui, il ne va falloir que quelques années pour que cette mesure de progrès revienne à lordre du jour »
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SIX MOIS APRÈS
Le jour même où Jean-Louis Borloo, ministre de lemploi et de la cohésion sociale, présentait son plan, son ministère annonçait une forte hausse du chômage (0,8% en mai, soit 20.300 nouveaux chômeurs en un mois, le plus mauvais chiffre depuis le début de lannée 2004). Au sens du Bureau international du travail, le nombre des demandeurs demploi est maintenant de 2.883.200 ; en un an le chômage des jeunes a augmenté de 6,4%, celui des femmes de 3,9%, etc. Ce qui na pas empêché J-P. Raffarin de déclarer le 26 mai : « la croissance est là, la reprise est là, lemploi repart ». Alors ?!
Le chômage connaît sa plus forte hausse depuis le début de lannée Le Monde, 1 juillet 2004 |
« La France doit augmenter le nombre dheures travaillées » JEAN-PIERRE RAFFARIN Le Monde, 2 juillet 2004 |
LOCDE prévoit 36 millions de chômeurs en 2005 Le Monde, 8 juillet 2004 |
La croissance du chômage nest dailleurs pas une spécificité française. Dans un de ses rapports annuels [3], lOCDE prévoit que plus de 36 millions de personnes seront encore au chômage en 2005 dans ses trente pays membres, ce qui représente 7% de la main duvre totale. Pour améliorer la situation lOCDE recommande aux gouvernements de mettre en uvre une plus grande flexibilité du temps de travail On sait ce que ça veut dire. Cest encore le jour même où J-L Borloo présentait son plan supposé mettre en uvre le virage social annoncé par J. Chirac au lendemain des élections régionales, que le ministre de léconomie N. Sarkozy, déclarait [4] devant plusieurs centaines de patrons de PME, réunis à Paris par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises : « Il ne faut pas craindre une réforme profonde des 35 heures [ ] qui sont un contre- sens économique [ ]. Il faut donner le choix à chacun de rester à 35 heures ou de pouvoir en sortir pour ceux qui veulent travailler plus ». Quelle hypocrisie et quelle aberration ! Dune part, il est évident que de nombreux salariés, à temps partiel ou nayant que de faibles revenus, essaieront daméliorer leur fin de mois en travaillant plus en faisant des heures supplémentaires, ce qui du même coup diminuera les possibilités demploi pour les chômeurs ; dautre part, on sait que le salarié ne choisit pas son temps de travail mais que cest « lemployeur qui fixe unilatéralement la durée du travail ; pour les temps partiels, pour les temps complets, comme pour les heures supplémentaires. Tout contrat implique une durée, et ce qui caractérise un contrat de travail, juridiquement, cest un lien de subordination. Cest pourquoi personne, absolument personne ne choisit, ni ne peut choisir sa durée de travail. Par contre lordre public social en vigueur limite à 48 heures la semaine de travail imposée par un employeur (en dehors de circonstances exceptionnelles qui peuvent, après dérogation, la porter exceptionnellement à 60 h). Cette limite de 48 h, ce nest pas une durée maximale française mais elle correspond à une directive européenne. Enfin, les heures supplémentaires sont décidées et imposées par le seul employeur, et ne pas accepter de les faire peut constituer une faute grave » [5]. Pas étonnant, au vu de ces dispositions, que laile libérale de lUMP [6] prépare un projet de loi pour modifier profondément le code du travail et le statut de linspection du travail.
Au cours de la même réunion, le secrétaire dÉtat au budget, D. Bussereau, un fidèle de Raffarin, avait déclaré : « Nous voulons redonner toute sa place au travail. Cest dans cet esprit que nous examinons, sans esprit dogmatique, les possibilités dassouplissement supplémentaires des 35 heures » et en clôture de la réunion, J-P Raffarin nhésitait pas à proclamer avec laplomb et lhypocrisie qui caractérisent ce gouvernement : « La France a un modèle social dont elle est fière. Pour le préserver elle doit augmenter le nombre total dheures travaillées ». À les entendre, le bon sens ne semble plus être « la chose la mieux partagée au monde » : comment en effet faire augmenter le nombre dheures travaillées tout en supprimant de plus en plus demplois.
LA WORLD COMPANY EN ACTION
Pour ceux qui en douteraient encore, le gouvernement français, comme la plupart des autres, ne fait que mettre en application les principes de la World Company [7].
On voit ainsi le FMI saluer les réformes économiques (retraites, assurance-maladie) lancées par le gouvernement français, qui « lèvent petit à petit les obstacles à une augmentation de la croissance à long terme », tout en regrettant « quune fiscalité lourde et un taux demploi faible, auxquels viennent sajouter un déficit important et un choc démographique imminent, assombrissent les perspectives de croissance à long terme ». Suivent les conseils : « bien que cela ne constitue pas une source déconomies immédiates, la vague actuelle de départs en retraite de la fonction publique doit être véritablement mise à profit pour favoriser la consolidation budgétaire à long terme ». Quant aux 35 heures et au SMIC, ce sont : « des mécanismes influant négativement sur les performances du marché du travail ». En conséquence, le FMI invite la France à « repenser en profondeur le SMIC car son niveau actuel élevé et son augmentation continue [ ] conduisent finalement à exclure de lemploi un nombre toujours plus important dactifs potentiels ». Il convient donc « déviter des hausses supplémentaires en termes réels du SMIC ». Et, coup de poignard final pour le plan de cohésion sociale de J-L Borloo : « il ne faut pas retomber dans le piège qui consiste à utiliser des ressources budgétaires pour encourager lemploi non marchand ».
Le FMI salue les réformes engagées par le gouvernement français Le Monde, 18-19 juillet 2004 |
La BCE souhaite que les salariés eoropéens travaillent plus Le Monde, 3 juillet 2004 |
Dans cet hymne à lemploi, la Banque centrale européenne (BCE) nest pas en reste. Elle appelle à améliorer la productivité du travail par plus de flexibilité et estime que les salariés de la zone euro « travaillent, en moyenne, beaucoup moins dheures par an quailleurs ». Toujours et uniquement préoccupée par le risque dinflation, elle demande aux partenaires sociaux de ne pas conclure de hausses de salaires supérieures à 2% par an, même si linflation dépassait ce niveau. Elle invite les gouvernements européens à « des changements supplémentaires de politique pour soutenir loffre de travail et son utilisation et ainsi augmenter les perspectives de croissance à moyen terme, cela afin de protéger les niveaux de vie moyens dune population vieillissante ».
Dans le même registre de sincérité, M. Trichet, directeur de la BCE, sans se prononcer sur lassouplissement des 35 heures en France ou sur laugmentation du temps de travail sans hausse de salaire et avec suppressions de primes dans certaines usines de Siemens en Allemagne et chez Bosch en France, en échange de renoncement à des projets de délocalisations, ne craint pas daffirmer que « tout ce qui va dans le sens dune plus grande souplesse, dune plus grande flexibilité, dune plus grande capacité dadaptation, dune plus grande productivité va dans la bonne direction ». Comme si productivité et croissance de lemploi avec augmentation de la durée du travail étaient compatibles !
On ne sétonnera donc pas en apprenant quen visite à Berlin J-P Raffarin ait vivement approuvé ces propos !
[1] La Grande Relève, N° 1040
[3] Perspectives de lemploi, 07/07/2004.
[4] Le Monde, 02/07/2004
[5] Gérard Filoche, inspecteur du travail, février 2002.
[6] UMP = Union pour une Minorité de Profiteurs
[7] La Grande Relève, N° 985, février 1999.