Quand Ulysse réfléchit
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Publication : août 2004
Mise en ligne : 5 novembre 2006
Le club Ulysse réunit des « économistes et des observateurs de la vie politique, économique et sociale » pour « éclairer et enrichir les débats sur les grandes échéances électorales ». Docteur en droit et en histoire économique et sociale, chargé de recherche économique à la CFTC, Philippe Arondel en fait partie et il nous a adressé louvrage intitulé La pauvreté est-elle soluble dans le libéralisme ? quil vient de publier aux éditions Belin, dans le cadre de ce club.
Fort bien documenté, sappuyant sur des faits irréfutables, cet ouvrage analyse la politique menée par la majorité issue du psychodrame du 21 avril 2002 : Elle consiste, dit-il, à graver dans le marbre de la loi des normes salariales au rabais, reformulées sous la dictée du marché et au nom dune prétendue urgence érigée en dogme. Le comble est que ce « putsch contre le droit du travail », selon le terme employé par lauteur, a été présenté comme destiné à aider à la création demplois ! Philippe Arondel semble donc très indulgent lorsquil se demande sil y a « vraiment lieu de suspecter notre Premier ministre duser dune rhétorique perverse, voire dun scandaleux double langage, lorsquil martelait, le 3 jullet 2002, dans son discours de politique générale à lAssemblée nationale : « Les baisses de charge constituent la clé de voûte de notre stratégie. Ce nest pas de lidéologie, mais tout simplement ça marche, ça crée des emplois. Et cest pour ça quil faut le faire Cest pour ça quil faut alléger les charges ».
Effectivement, depuis 1992, les gouvernements ont été unanimes pour favoriser la modération et la flexibilité des salaires, pour aider le développement de lemploi temporaire ou à temps partiel et pour réduire les cotisations patronales comme peau de chagrin. Lauteur ne peut que déplorer léchec de cette politique : la proportion des bas salaires a beaucoup augmenté, et la pauvreté encore plus.
Sil exprime ce constat en termes réservés et prudents : « Sauf à se laiser bercer de rêves illusoires, il paraît difficile dimaginer que lon puisse planifier le moindre recul de la pauvreté sans que le mode de fonctionnement et dallocation de la ressource humaine dans lentreprise ne soit, sinon bouleversé de fond en comble, du moins révisé de façon drastique », notre économiste qui « refuse toute crispation de type néo-gauchiste » (?) nen est que plus éloquent auprès dun certain public, celui qui, nayant pas directement été victime de cette politique, a besoin de ce style policé pour, peut-être, commencer à se poser quelques questions à propos de « mythes qui ont la vie dure »
Il nempêche que la conclusion de cette étude rejoint presque celle dAndré Gorz dans son dernier livre Limmatériel (analysé dans GR 1030, p.5). La politique actuelle y est en effet décrite comme menant à « une séparation de corps avec notre histoire » en ces termes : « on se plaît, avec plus ou moins de précaution, à esquisser les grandes lignes de force dune société - ou plutôt dune anti société où lhomme, libéré du lien de subordination salariale traditionnel, deviendrait le capitaliste de lui-même, le vendeur de son portefeuille de compétences et de savoir-être dans un espace économique uniquement piloté par la loi dairain de la concurrence sauvage ».