Totale impunité


par  H. MULLER
Publication : octobre 2000
Mise en ligne : 16 juin 2008

À propos de Notre affaire à tous , d’Éva Joly, analysé par Jacques Bonnet dans notre dernier numéro…

Je voudrais insister sur un aspect essentiel : l’impunité quasi-totale en matière de grande criminalité financière. Consacrant un long chapitre à cette impunité, Éva Joly nous fait parcourir toutes les étapes empruntées par le parfait délinquant, dévoilant ses imparables stratégies : allongement démesuré des procédures, saucissonnage d’une plainte en une dizaine d’infractions, recours sur recours, commissions rogatoires à répétition. Les années passent, les juges se lassent ou sont changés d’affectation. Seulement 2% de ces délinquants se font piéger, suite à une imprudence fortuite, les 98% restant opèrent en toute impunité : abandon de créances fictives déclarées irrécupérables, versements de commissions dans les paradis fiscaux. N’importe quel PDG ou banquier peut, s’il travaille en réseau, taper dans la caisse à sa guise sans éveiller l’attention de ses actionnaires. Se réalisent ainsi, entre établissements financiers, des opérations croisées avec un complice. Ni vu, ni connu. Conclusion quelque peu désabusée d’Éva Joly : « si la délinquance financière ne devient pas l’affaire de tous, je doute que nous arrivions seuls à en conjurer les périls. »

Ainsi va notre justice, dramatiquement désarmée face à la grande criminalité financière qui pourvoit aux arrosages politiques, aux commissions clandestines, au somptueux train de vie de maints dirigeants de sociétés et alimente les activités mafieuses. Il reste à “blanchir” tout cet argent qui doit refaire surface, une activité qui, à son tour, soutient la “croissance” dont nul ne semble se soucier de ce qu’elle trimbale. Un système totalement pourri. Éva Joly a manqué le coche de la révolution monétaire pour une monnaie de consommation, non circulante, clé de la moralisation des comportements socio-économiques, d’un changement radical d’une règle du jeu que des aigrefins parés de respectabilité peuvent contourner avec tant d’arrogance.