Un livre exceptionnel

LECTURE
par  M.-L. DUBOIN
Publication : avril 2004
Mise en ligne : 8 novembre 2006

  Sommaire  

L’“antimanuel d’économie” que vient de publier Bernard Maris, aux éditions Bréal, est un livre exceptionnel.

D’abord par sa forme, son style familier et drôle n’est pas habituel en la matière, et de nombreuses illustrations, bien choisies, le rendent encore plus agréable, en l’égayant.

Mais sous ces apparences légères, c’est une très solide réfutation et des arguments de poids qui sont présentés à l’encontre de la “science économique”, que l’auteur qualifie, dès le premier chapitre, de science nulle, en expliquant à ceux qui pensent ne rien pouvoir comprendre à l’économie que ce sont les économistes qui ne comprennent rien, mais cachent leur ignorance et leur idéologie derrière un jargon rébarbatif. Il démystifie du même coup le discours politique qui fait référence à l’économie non pas pour être compris mais pour être cru et obéi.

J’avoue que je suis partiale. Si je me suis tellement régalée à la lecture de ce livre, c’est aussi parce que nos propres analyses s’y trouvent magistralement confortées.

N’étant pas économistes patentés et n’écrivant qu’au seul titre de citoyens qui s’estiment concernés, nous exprimons dans ces colonnes des réflexions, puis des convictions et des propositions dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont originales. Elles passent donc pour téméraires. D’où notre joie quand elles sont confirmées par un économiste dont la compétence est reconnue, et même réputée puisque Bernard Maris est Professeur d’Université en France et aux États-Unis.

Alors que nous venions d’achever (dans GR1041 de mars) la présentation de notre étude de la monnaie, ce fut en effet une heureuse surprise de découvrir que l’auteur de cet “antimanuel” ose aborder ce sujet, contrairement à ses semblables. Quelle remarquable exception !

Et il y va carrément, en des termes qui rappelleront quelque chose à nos lecteurs. Ne résistons pas au plaisir de le citer. La partie de son livre, intitulée “le nerf de la guerre”, dans laquelle il demande : D’où vient l’argent ? Qui le fabrique ? Pour qui ? est introduite en ces termes : « D’abord, observons cette curiosité, cette chose bizarre, pis, aberrante : longtemps, les économistes ont négligé l’argent. Les économistes orthodoxes, s’entend. Encore aujourd’hui, nombre d’économistes considèrent que l’argent, la monnaie, ne sont pas des questions en soi. La monnaie est neutre. Elle n’a pas d’incidence sur l’économie réelle (souligner dix fois), l’économie véritable, profonde, celle qui parle des produits, des services, de l’emploi, des prix. […] Cela paraît extravagant, mais c’est comme ça. Aujourd’hui encore, en 2003, on enseigne dans les universités la “théorie du cycle réel”… qui s’efforce d’expliquer les fluctuations cycliques des économies par les goûts des consommateurs, le progrès technique, en supposant que l’argent n’existe pas, que l’argent n’a aucune incidence sur les fluctuations économiques. Bulles, crash, crises de crédit, crises d’endettement, spéculations, tout ça n’a aucun contenu monétaire. »

 

Cet antimanuel aborde bien d’autres mythes économiques.

À commencer par les vertus du marché, dont la main invisible n’existe pas, la formation des prix, qu’aucun économiste honnête ne peut ni expliquer ni prévoir, la loi de l’offre et de la demande, qui n’a pas de sens.

Il fait référence à des démonstrations fort pertinentes mais peu connues.

Par exemple celle établie par un mathématicien, prix Nobel d’économie en 1994, John Nash et désignée par “le dilemme du prisonnier”. Elle montre que le marché est inefficace en expliquant comment la concurrence conduit toujours à la mauvaise solution ; d’autant que deux Anglais, Lipsey et Lancaster, avaient démontré, en 1956, le paradoxe suivant : on pourrait penser qu’en s’approchant pas à pas de la concurrence, en libéralisant petit à petit (ce qui est la politique imposée par Bruxelles), on rend le système de plus en plus efficace ; or c’est faux, on se retrouve alors dans une situation pire que celle du départ, parce que la concurrence est un tout.

Un autre Prix Nobel (en 1972), John K. Arrrow, a démontré le théorème dit “d’impossibilité” qui établit qu’il n’est pas possible de tirer une logique économique collective à partir des choix que font indépendamment les individus ; théorème qui amène à conclure, souligne Bernard Maris, que c’est au politique de trancher. Nous tenons là, au passage, la démonstration qui appuie notre proposition des “prix politiques”, amenant à débattre des prix en même temps qu’on décide démocratiquement des modes de production, ce qui permet d’aborder toutes les incidences d’une production au lieu de ne tenir compte, comme c’est le cas aujourd’hui, que d’un seul critère et unique critère : la rentabilité.

 

Tous ceux qui ne veulent pas mourir idiots doivent lire cet antimanuel. Il leur apprendra à ne pas se laisser influencer par les médias qui leur serinent à longueur de journée les cours de la Bourse. Car pourquoi le cours de la Bourse et pas le cours du chômage, le niveau des salaires ou celui de la pollution, le nombre d’émigrés expulsés, le nombre d’espèces animales ou de trésors de l’humanité qui sont en train de disparaître ? —Pour faire croire que la Bourse sert à financer l’économie. Or c’est faux, ce n’est pas la Bourse qui finance l’économie, ni la croissance, c’est le crédit bancaire. Et le capital financier n’est qu’une infime partie du capital de la nation. En fait, nous vivons dans une mythologie de la Bourse, car celle-ci « ne sert qu’à donner une philosophie économique, une doctrine aux gouvernants et à inculquer une idéologie aux citoyens ».

Donnons pour finir un nouvel échantillon de la verve d’Oncle Bernard : il dépeint « la sanction des marchés, l’humeur des marchés, l’euphorie des marchés, la contrainte des marchés, la réponse des marchés… Personnages semblables à des dieux, insaisissables, ubiquitaires et très coléreux ou très susceptibles, tous les marchés fonctionnent à peu près comme le marché boursier, qui nourrit l’“opinion boursière”, qui fait la confiance tout court » avant de décrire les « 100.000 analphabètes qui font les marchés »… !


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