Une éducation... d’un autre siècle


Publication : octobre 1978
Mise en ligne : 14 octobre 2006

« Je suis né dans le premier village de France » aimait à dire Jacques Duboin en marquant un temps avant d’ajouter « quand on vient de Genève ». C’est en- effet à St-Julien-en-Genevois qu’il naquit, il y a tout juste un siècle, le 17 septembre 1878, Son père. issu lui-même, d’une longue lignée de magistrats, y était alors avocat.

Pour bien comprendre un être. il faut d’abord se faire une idée sur la façon dont il a été formé, façonné, dressé. L’éducation, d’un autre siècle, qu’il reçut. explique sans aucun doute sa droiture, la rigueur de son caractère, son courage et son honnêteté devant la vérité. Son père avait en effet une conception qui est absolument impensable aujourd’hui. de la sévérité avec laquelle ses deux fils devaient être élevés pour devenir « des hommes ».

Deux anecdotes aideront à comprendre cette rigueur qui forma leurs caractères :

Son frère Léon eut un jour le malheur d’oser dire (pas à table, bien sur, car les enfants n’avaient pas la parole) qu’il... n’aimait pas le gruyère. Son père estimant que pour faire partout et toujours bonne figure, un enfant doit être capable de manger ce qu’on lui offre, décida que désormais son fils trouverait à chaque repas un morceau de gruyère dans son assiette et qu’il devrait d’abord l’avaler avant de commencer le repas, là où en seraient alors les autres. Tant pis pour lui s’il finissait au moment où on passait le fromage !

Afin que les deux garçons reçoivent la plus grande culture possible, il fut décidé qu’ils seraient deux ans pensionnaires en Allemagne. puis deux ans en Angleterre. Sur les conseils d’un ami. leur père choisit un internat de Königsfeld en Forêt Noire, qui se révéla, en fait, plus une maison de redressement qu’un simple pensionnat. Les jeunes condisciples de Léon le défièrent un jour en lui disant que le fils de vaincus de la dernière guerre était incapable d’un acte de courage, comme par exemple... d’avaler une souris vivante ! Est-ce l’entraînement du gruyère ? Toujours est-il qu’il ne recula pas : il avala bel et bien l’animal vivant... il fut malade pendant plusieurs jours, mais il s’agissait de l’honneur de la France !

De son séjour en Angleterre. Jacques Duboin rapporta le souvenir de cruels « bizutages », une parfaite connaissance des règles du jeu de cricket, et un diplôme d’Oxford « avec distinction en Français ».

Il revint en France pour passer. à Grenoble. le baccalauréat de Rhétorique, puis. à la session suivante. la même année, celui de « Philo-Mathématiques ». Après quoi il alla commencer son Droit à Lyon et le termina à Paris, d’où il revint diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce.

C’est vers une carrière diplomatique qu’il s’orienta tout d’abord. Il fut envoyé en stage comme attaché commercial au Consulat de France à New-York. Il trouva fort peu d’intérêt au travail qui lui fut confié. sans doute pour la bonne raison que le Consul n’occupa jamais son poste : il estimait que c’est par erreur qu’il avait été nommé à New-York ! Ce peu d’attrait décida Jacques Duboin, à abandonner la carrière pour partir à l’aventure au Canada, un pays dont les immenses possibilités offraient, au début du siècle, tout ce qu’il faut à une esprit créateur, courageux, entreprenant comme le sien.

Réformé pour « faiblesse de constitution » il ne rencontra cependant pas la moindre difficulté quand il se proposa, le 2 août 1914, engagé volontaire, comme simple soldat.

Il a toujours été très discret sur ses faits d’armes. Nous savons qu’il monta trois fois à Verdun et qu’il e n revint avec une blessure, deux citations, la croix (le guerre et le grade de capitaine. Puis, en raison de ses compétences, il fut envoyé au Grand Quartier Général à Chantilly, afin de servir d’interprète entre les commandements alliés. Enfin, il termina la guerre aux côtés du général Estienne, le « père des chars ».

La façon dont il sut tirer la leçon de cette expérience, est peut-être le premier exemple de la portée qu’il savait donner à la logique de ses déductions. De la relève du fantassin par les chars. il sut déduire la conduite à tenir par ceux sur qui reposait l’organisation de la défense du pays. C’est dès le 14 mars 1922, qu’il prononça à la Chambre des Députés, où il avait été élu pour représenter la Haute-Savoie, un discours prémonitoire, incitant le gouvernement à décider la motorisation de l’armée. En voici des extraits :