Votre santé nous intéresse !

Réflexions sur la sécurité sanitaire
par  P. VINCENT
Publication : novembre 2003
Mise en ligne : 11 novembre 2006

Pas celle des pauvres, bien entendu. Mais quelle sollicitude de la part des grands groupes pharmaceutiques [*] pour tous ces gourmands, peut-être pas tous des gourmets, dans les pays riches, qui mangent trop de cholestérol !

Il y avait déjà à leur disposition le Zocor de Merck, le Pravachol de Bristol-Myers Squibb, et surtout le Lipitor de Pfister (record du monde du médicament le plus vendu : 8 milliards de $ en 2002). Un quatrième larron, le groupe anglo-suédois AstraZeneca, vient d’obtenir pour le Crestor [*] le feu vert de l’administration américaine du médicament (FDA). On nous fera sans doute bientôt aussi connaître les avantages de ce nouveau remède, mais, pour le moment, ce qui a semblé le plus important, c’est de fixer le montant du budget publicitaire nécessaire à son lancement, ainsi que d’élaborer une stratégie de conquête du marché.

Le chiffre avancé pour ce budget est de 1 milliard de dollars et, rien qu’aux États-Unis, AstraZeneca devrait doubler sa force de vente pour atteindre le chiffre de 6.000 visiteurs médicaux.

Ce qui est plus préoccupant, c’est que les études de marketing auraient conclu à la nécessité d’un prix d’attaque inférieur d’au moins 13% à celui du Lipitor. Ce sera toujours autant de gagné pour la Sécurité Sociale, mais quand on voit un prix de vente ainsi établi à partir de critères purement commerciaux et devant incorporer des frais publicitaires démentiels, on peut s’interroger sur la valeur réelle du produit qui nous sera vendu. Son coût réel de fabrication certes nous importe peu, mais quels peuvent être ses avantages thérapeutiques ? Si l’on avait été capable de nous administrer la preuve qu’il surclassait nettement le Lipitor, on ne serait sans doute pas obligé de faire jouer l’argument du prix et de dépenser autant d’argent en publicité. On sait depuis le mois de mars que cette manne publicitaire sera répartie entre Publicis et le britannique WPP. Après ce qui est arrivé début août à Bristol-Myers Squibb, que la FDA a obligé à interrompre une campagne publicitaire pour le Pravachol qu’elle jugeait mensongère, ils devront faire attention à ne pas se montrer plus inventifs que les chercheurs qui ont inventé le Crestor [*].

Compte tenu des investissements consentis, il est bien sûr indispensable que la production de cholestérol se maintienne encore pendant longtemps à un niveau élevé, ce à quoi s’emploient les spécialistes de la “mal bouffe” fabricants d’obèses, qui investissent massivement de leur côté dans la publicité en direction des enfants et le sponsoring dans les écoles, comme on pourra le lire par ailleurs.

En dehors de ces grandes campagnes de conquête, il y a aussi quelques combats d’arrière-garde. En France, la CNAM s’inquiète* des ruses employées, pour éviter la concurrence des génériques, par les laboratoires disposant de “molécules phares” en passe de tomber dans le domaine public. On les voit ainsi mettre sur le marché de nouveaux médicaments légèrement modifiés, soit dans le dosage, soit dans la présentation, par exemple en créant des comprimés effervescents, ce qui empêche le pharmacien de proposer un générique (ou lui permet de n’en point proposer).

Pendant une grande partie du siècle dernier, la poliomyélite, qu’on appela longtemps de façon restrictive la paralysie infantile, fit des milliers de morts ou d’handicapés, même dans les pays riches, puisqu’on sait qu’aux États-Unis le Président Roosevelt en avait été atteint. Cette maladie épidémique est aujourd’hui complètement disparue dans tous les pays qui ont pu pratiquer la vaccination, parce qu’ils étaient riches… et parce qu’on avait trouvé un vaccin. C’est dans la rubrique nécrologique du Monde que j’ai trouvé ces jours-ci quelques lignes sur l’un de ceux qui furent à l’origine de la découverte de ce vaccin. Il s’agit du pédiatre américain Frédéric Robbins (qui vient de s’éteindre à l’âge de 86 ans) et qui avait reçu pour cela en 1954 le prix Nobel de médecine avec ses collègues John Enders et Thomas Weller (encore déclaré vivant dans le QUID 2002), mais tous trois sont maintenant ignorés.

Si ce n’est pas le genre d’exploit dont se prévalent aujourd’hui les Américains, c’est que, pour le monde des affaires, c’est plutôt une catastrophe économique que la découverte d’un vaccin bon marché vous protégeant à vie ou avec seulement un rappel tous les dix ans et qui parvient à éradiquer complètement une maladie, au regard d’un médicament coûteux dont on doit consommer une ou plusieurs boîtes par mois, et qui ne vous guérit jamais définitivement.


[*Si vous voulez en savoir plus :
• Sur les méthodes des grands groupes pharmaceutiques, voir “Offensives pharmaceutiques”, GR 1023.
• Sur le Crestor, Le Monde du 20/8/2003.
• Sur les inquiétudes de la CNAM, Libération du 9/9/03.

Lire :
• un polar, La constance du jardinier de John Le Carré (Le Seuil, 2001).
• Les lobbies contre la santé de R.Lenglet et B.Topuz, analysés par C.Eckert dans GR 1012,1013,1014.
• Le Grand Secret de l’industrie pharmaceutique, de Philippe Pignarre, analysé ci-dessous page 13.


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