Vive le Roi !


par  P. VINCENT
Publication : octobre 2002
Mise en ligne : 1er janvier 2007

Le roi Bhumibol Adulyadej

Foncièrement démocrate, je ne pensais jamais pousser ce cri, et pourtant c’est ce qui m’arrive aujourd’hui, en communion avec toute la Thaïlande. Ce pays bénéficie en effet d’un roi exceptionnel, qui dépense son temps et son argent dans toutes sortes de projets profitables pour son peuple : barrages, irrigation, reboisement, etc., pour lesquels il s’entoure des gens les plus compétents. Et s’il a aussi une ferme dans le parc de son palais, aucun point commun avec Marie-Antoinette : il s’agit d’une ferme modèle servant de centre de recherches pour des agronomes, des biologistes et autres savants.

Paradoxalement, tout serait parfait si la Thaïlande n’était une démocratie. Car le suffrage universel a hélas permis au bon peuple d’élire celui qui lui avait fait les plus belles promesses, ne doutant pas qu’il serait capable d’enrichir le pays comme il avait si bien su le faire pour lui-même. Naïveté de gens du Tiers - Monde ? Dans un pays voisin du nôtre, on s’y est tout autant laissé prendre ! Et chez nous ? Gardons-nous de juger prématurément un jeune gouvernement qui, de plus, est en vacances : à la rentrée nous allons voir ce que nous allons voir. En Thaïlande où cela ne se passe pas du tout comme cela avait été promis et surtout espéré, c’est le roi lui-même qui s’est fait l’écho des déceptions et des inquiétudes de son peuple, dans le discours à la nation prononcé pour son 74ème anniversaire devant un parterre de 18.000 personnes et toutes les chaînes de TV du pays.

En voici quelques extraits, dans la traduction de Gavroche, le magazine francophone du sud-est asiatique édité à Bangkok : « Aujourd’hui, j’ai l’intention de parler de catastrophe et non de développement. Je crois que nous savons tous que notre pays ne se développe pas ».

Cela ayant eu un effet visible sur le chef du gouvernement assis au premier rang, le roi alors d’enfoncer le clou : « Je peux voir que le Premier ministre fait grise mine à ces mots. Il se peut qu’il soit contrarié, car il a l’habitude d’affirmer qu’il est content. Mais il s’agit peut-être d’un contentement extérieur et d’un mécontentement intérieur ».

Puis, allusion à l’habitude de celui-ci de s’en prendre à tous ceux, économistes, banquiers, fonctionnaires, journalistes et autres, qui critiquent sa gestion : « Chacun doit modérer son ego. Les gens se fâchent contre ceux qui ont des opinions différentes, mais ils devraient se fâcher contre eux-mêmes. Car nous devons être fâchés contre nous-mêmes quand nous disons une chose un jour, pour affirmer son contraire le lendemain ».

Je connais peu de chefs d’État dans le monde, dont l’autorité morale, même si certains tentent d’y suppléer par un culot hors du commun, leur permettrait de donner de telles leçons.

On dira que, d’une part, dans une dynastie, les qualités ne sont pas forcément héréditaires, et qu’en démocratie les électeurs peuvent revenir périodiquement sur leurs choix. Mais il leur faudra acquérir une sérieuse éducation pour ne pas se laisser tout aussi périodiquement berner par d’autres promesses tout autant illusoires. Notre conditionnement par la publicité ne va pas en ce sens. Et il serait sain, pour nous prémunir contre la propagande des périodes électorales, de nous entraîner chaque jour à décrypter les mensonges de cette publicité omniprésente et dont les concepteurs sont d’ailleurs souvent les mêmes, ce que faisait si plaisamment Coluche.

Le risque d’un “fuhrer” ou d’un “duce” malfaisant reste malheureusement toujours réel, même lorsque ce sont les peuples qui délivrent les permis de conduire.