Pour ne pas désespérer
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Mise en ligne : 14 janvier 2007
La première moitié de l’année qui commence va être dominée, en France, par les élections. Ce serait une excellente chose si c’était l’occasion pour les citoyens de discuter sur la façon de réaliser ensemble, grâce aux énormes moyens actuels, un monde plus juste et plus humain.
Malheureusement beaucoup d’électeurs sont déjà saturés des spectacles organisés autour de candidats transformés en stars, sinon en clowns. Certains pensent même que le véritable enjeu des élections, loin d’être l’avenir de tous, n’est, en fait, que la “carrière” des vedettes du show-business qu’est devenue la politique : les traités qui ont été signés au niveau européen ont fixé, et pour longtemps, la marche (libérale) à suivre, ils ne laissent guère de marge de manœuvre aux futurs élus, dont le rôle, en premier lieu celui du Président, est désormais de trouver des marchés pour les grandes entreprises.
Dans ce contexte, plus grand monde, parmi les gens normalement constitués, ne croit encore aux promesses de retour au plein emploi, de redressement, de rupture, fût-elle tranquille, de fin de la fracture sociale, de fin de la pauvreté, de sursaut de la France, ni à une croissance dite “durable” dans le respect de l’environnement. Même avec de nouvelles formules comme savent tellement en inventer les conseillers en communication, ça ne “passe” plus. Alors, n’est ce que sur la comparaison de leurs méthodes pour réprimer la violence, née des inégalités et autres injustices, que les électeurs se détermineront ? Est-ce la candidate du PS qui l’emportera en remplaçant le « je vous ai compris » gaulliste par « je vous ai écoutés » ? Le drame est que tous ces candidats “médiatisés” ne proposent rien qui soit en mesure de répondre aux problèmes essentiels des citoyens, rien qui offre une véritable alternative à ce dont ils ne veulent plus, rien qui empêche ce qu’ils redoutent.
Car l’essentiel du pouvoir, y compris le pouvoir médiatique, est détenu, de fait, par ceux qui ouvrent les crédits et gèrent les fonds d’investissements : ce privilège leur permet de prendre les grandes décisions, celles qui définissent l’avenir de tous, alors qu’ils font ces choix dans leur seul intérêt. Tant que cette logique ne sera pas remise en cause, l’intérêt de “l’élite” primera sur le pouvoir politique, même dans nos démocraties dites représentatives. Et les Droits de l’Homme et de son environnement, pas plus demain qu’aujourd’hui, ne seront respectés. C’est cette base du système qu’il est urgent de changer, alors qu’aucun des “décideurs” actuels n’en a cure, car pas un, pas une, des candidats susceptibles de l’emporter n’envisage de sortir de ce carcan. Tous s’agitent en tous sens en promettant l’impossible, tous, tels des mouches coincées dans un verre retourné sur la table, cherchent une issue qui est introuvable à l’intérieur.
On ne viendra à bout ni du chômage, ni de la pauvreté, ni de la dégradation de l’environnement tant que le profit sera la motivation de toute activité.
C’est évidemment parce que cette solution est radicale qu’on n’arrive pas à l’envisager.
Prendre conscience qu’il n’y en a pas d’autre prend du temps, et, en attendant, le risque est grand que les citoyens, lassés de promesses intenables, se livrent au pire, à celui qui récolte les voix des désespérés en cachant ses intentions sous l’air connu de « La France aux Français », alors que l’histoire a montré, hélas, où mènent de tels slogans.
Ceux qui souffrent du système sont infiniment plus nombreux que ceux qui en profitent. Mais cette immense majorité n’a, en général, même pas les moyens de s’informer. Le changement salutaire ne peut donc venir que de ceux qui, entre ces extrêmes, ne sont ni illettrés, ni assez abrutis pour laisser se poursuivre la destruction de la société humaine. La raison ne l’emportera que si une majorité de citoyens cesse de se soumettre à ce qui lui est présenté comme inévitable, et qui ne résulte pourtant que d’une idéologie dont on voit à quelles catastrophes elle conduit. Mais il faut que ceux qui se contentent de soupirer « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ! » arrivent à refuser d’admettre docilement qu’il n’y a pas d’alternative à cette économie de marché. Qu’ils refusent d’être mis dans l’obligation de se battre en permanence contre tous pour gagner leur vie. Qu’ils nient que la rivalité soit nécessaire. Qu’ils organisent entre eux la solidarité et la coopération, même quand on leur affirme que ce sont des chimères sous prétexte que l’homme ne peut être qu’un loup pour l’homme.
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Ne pas se désespérer demande du courage. Plus que pour assister passivement aux débats savamment organisés par la télévision. Et répliquer aux candidats, par des critiques proférées, même en hurlant, devant son poste, en famille, ne sert à rien.
Les informations, il faut faire l’effort d’aller les chercher ailleurs que dans les médias officiels. C’est d’autant moins facile qu’est bien entretenu un préjugé selon lequel un spectacle marginal est soit de mauvaise qualité, soit subversif : il ne peut être le fait que d’affreux “gauchistes”. Cet a priori n’est sans doute pas étranger au fait qu’une telle démarche est une façon, pour le citoyen, d’acquérir plus d’autonomie, donc d’être moins docile, moins soumis à toutes les publicités. Car c’est en allant voir des films, des documentaires ou de courts métrages, souvent montés avec peu de moyens et qui passent dans de petits cinémas dits “d’essai” (tels Utopia, Pandora, etc.), qu’on peut découvrir ce dont ailleurs on ne parle pas. Je pense par exemple aux films de la canadienne Carole Poliquin Turbulences, ou Le bien commun, produits par ISCA et diffusés en vidéo-cassettes par Médiamax, à Montréal. Je pense aussi au film, plus récent, intitulé Bamako, ce procès de la banque mondiale qui se passe tout simplement dans la cour d’une maison africaine, est magnifique. Allez le voir, il est aussi important que le film d’Al Gore “Une vérité qui dérange”, réalisé avec d’autres moyens. Et n’ayez pas peur non plus d’assister aux spectacles de ces troupes de théâtre, parfois d’amateurs, parfois de professionnels, qui interpellent le public pour le faire réfléchir. Nos fidèles lecteurs se souviennent que nous avions annoncé le spectacle que préparait la compagnie de la Tribouille, de Nantes : le premier volet intitulé Le paradoxe de l’Érika, mis en scène par Philippe Piau, est passé au “théâtre économique et fraternel Mains d’œuvres”, à Saint Ouen, le mois dernier. C’est une réussite. Que trois acteurs puissent faire passer tant d’idées avec si peu de moyens, c’est formidable. Autre exemple, la troupe du Théâtre du Mantois : trois personnes et sans décor, lisent un texte au public, sous le titre “Le rêve d’Alvaro”. Si, après tout ce qu’on a pu entendre à son propos, on vous dit qu’il s’agit des communiqués écrits dans les montagnes du sud-est mexicain par le “sous-commandant” Marcos, pensez qu’il s’agit des violents propos d’un dangereux “guérillero”, armé et menaçant. Mais si vous y allez quand même, vous découvrez une poésie, une non-violence, et une profondeur de réflexion inimaginables, qui vous enchantent.
Ces groupes originaux d’acteurs de théâtre sont, et c’est une bonne nouvelle, de plus en plus nombreux, et ceux que nous avons eu l’occasion de voir étaient tous très bons. Et puis soyez attentifs, à l’occasion, à des spectacles de rue apparement improvisés, tels ceux que Caroline Eckert a vus au marché de Noël à Strasbourg et qu’elle décrit plus loin dans ces colonnes.
Car dès qu’on accepte de faire l’effort d’aller voir ce qui se passe en dehors de ce que présente la grande presse, avec ses gros moyens, le moral remonte. On s’aperçoit qu’il y a une foule de gens qui cherchent aussi comment construire ensemble un monde où l’espoir ne soit plus un mot vide de sens. Et qu’ils ont plein d’idées, encore confuses, certes. C’est pour cela que les discussions peuvent durer bien au delà des prochaines élections. Mais qu’importe, il faut sans doute en passer par là quand les professionnels de la politique ne représentent plus leurs mandants.
PS : et si vous voulez mieux connaître, puis faire comprendre les mécanismes par lesquels le pouvoir des élus est écrasé par celui des financiers, j’ai le plaisir de vous annoncer, pour fin, février la sortie d’un livre qui devrait pourvoir vous y aider…