Au fil des jours
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Mise en ligne : 14 janvier 2007
Bouc émissaire
Sous ce titre, l’éditorialiste du très orthodoxe et très conformiste quotidien Le Monde écrivait [1] : « la campagne électorale présidentielle a permis de renouer avec la vieille tradition française qui consiste à tirer à boulets rouges sur les banquiers centraux ». (Encore une exception française !). Ce bouc émissaire serait le très honorable Jean-Claude Trichet, président de la banque centrale européenne (BCE).
Tout cela parce que les candidats potentiels à la présidence de la République, qu’ils soient de droite ou de gauche, avaient, chacun dans son style propre, dénoncé la stratégie monétaire mise en œuvre par le président de la BCE et même osé réclamer une redéfinition de ses missions et, notamment, que l’Institut d’émission se préoccupe plus de croissance et moins d’inflation ! Le 14 novembre, le Premier ministre, Dominique de Villepin demandait une « véritable stratégie » européenne de change et s’insurgeait contre l’euro fort ; le 9 décembre, c’est Ségolène Royal qui, après l’annonce d’un nouveau relèvement des taux d’intérêts (le sixième en un an [2]), déclarait : « ce n’est plus à M. Trichet de décider de l’avenir de nos économies. C’est aux dirigeants démocratiquement élus ». Elle pense que remettre l’Europe sur les rails « suppose que la BCE soit soumise à des décisions politiques, bien sûr celles de l’Eurogroupe [3] mais aussi celles du Conseil européen » [4].
L’éditorialiste du Monde pense, lui, que « les hommes politiques français sont surtout bien mal placés pour critiquer la politique de change de la BCE car […] c’est au pouvoir politique européen qu’il revient de fixer la bonne valeur de l’euro et d’agir en conséquence ».
Alors que M. Juncker, Premier ministre et ministre des finances luxembourgeois, qui préside l’Eurogroupe, souhaite se voir confier un mandat clair pour mieux coordonner les politiques économiques des pays membres et il veut que s’intensifie le dialogue avec la BCE. Mais il s’est heurté à une fin de non recevoir de la part de M. Trichet qui, arguant de l’indépendance de l’Institut d’émission, lui a répondu en toute modestie « Monsieur Euro, c’est moi ». À quoi, M. Juncker a répliqué : « si nous ne discutons pas dans un salon, il m’entendra par haut-parleur » [5]. Apparemment, le haut-parleur est resté, jusqu’à maintenant, muet !
Quant à la Commission européenne, elle a pris, par la voix du commissaire chargé des affaires économiques, la défense de la BCE en expliquant « que le niveau de la croissance n’a rien à voir avec la politique monétaire, mais est lié à des problèmes structurels […] que la définition du mandat de la BCE est correcte […] et qu’il n’est pas réaliste d’imaginer que l’on puisse avoir des marges de manœuvre pour changer quoi que ce soit dans les traités en vigueur » [6].
Qu’est-ce que ce serait si nous avions ratifié le projet de traité constitutionnel ! Notons au passage que ces politiciens (y compris N. Sarkozy), qui aujourd’hui s’insurgent contre l’euro fort, frein à la croissance et responsable de l’augmentation du coût de la vie, etc. étaient tous partisans du Oui au référendum…
Rassurons nous cependant, car les personnalités politiques ont reçu implicitement le soutien du Medef : « Il nous faut un gouvernement économique de l’Europe et des politiques coordonnées » a insisté le Président de la commission économique du Medef, qui, sans le nommer, n’en a pas moins attaqué M. Trichet : « On a une gestion technique de la monnaie, via les taux d’intérêt, pour maîtriser l’inflation. Mais l’inflation a été éradiquée et il n’y a pas de tensions inflationnistes en Europe » [7].
Or les hausses des taux d’intérêts décidés par M. Trichet ont aussi pour effet d’augmenter le déficit des finances publiques : d’environ 250 millions d’euros pour une hausse d’un quart de point.
Ah, si les gouvernements avaient le courage de reprendre la maîtrise de la création monétaire, nous serions moins endettés !
Le modèle nordique d’État-providence
Nous avons souvent parlé de ce modèle, qui fait l’admiration de nombreux sociologues et hommes politiques français. Mais il coûte cher et implique des taux d’imposition élevés, ce qui a, sans doute, provoqué la défaite du parti social-démocrate au pouvoir depuis douze ans en Suède, aux élections législatives de septembre 2006. Pour cela, l’alliance des droites a réussi à faire de l’emploi le thème majeur de sa campagne, bien que la situation économique du pays soit très bonne, avec une croissance d’environ 5%. Mais le problème est que cette croissance ne crée pas d’emplois (une leçon à méditer pour les partis français…). Et voilà que la droite proclame que le taux officiel de chômage de 5,7% ne représente pas la réalité ! En fait, c’est plus de 17% de la population active qui serait au chômage si l’on tenait compte du nombre de Suédois en préretraite ou en arrêt-maladie, soit un peu plus d’un million de personnes hors du marché du travail et qui n’occupent pas un emploi à temps partiel.
Alors le nouveau gouvernement martelle que désormais « il deviendra payant de travailler ». Quelles mesures croyez-vous qu’il va prendre pour y arriver ? — Dès 2007, il va baisser de 4 milliards d’euros l’impôt sur le revenu, supprimer les charges patronales pour une partie des services, réduire les taxes sur les services de proximité et supprimer l’impôt sur la fortune. Et il n’oubliera pas de baisser les allocations de chômage et les remboursements pour les personnes en arrêt-maladie ou en préretraite « afin que la différence soit plus marquée entre les inactifs et ceux qui ont un emploi » et enfin il se propose de supprimer la déduction fiscale pour les cotisations aux caisses de chômage et pour l’adhésion aux syndicats.
Il paraît que c’est ce que la Droite suédoise appelle « améliorer l’État-providence » !
[1] Le Monde, 16/11/2006.
[2] Lors de sa conférence de presse du 3/12/2005, le président de la BCE avait pourtant déclaré qu’il n’entrait pas dans un cycle de relèvements des taux : « ce n’est pas une décision ex ante du conseil des gouverneurs de s’engager dans une série de hausses de taux ». Depuis, il a procédé à 6 relèvements des taux d’intérêts !
[3] L’Eurogroupe réunit les ministres des finances de la zone euro.
[4] Le Conseil européen est constitué des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne.
[5] Le Monde, 08/09/2006.
[6] Le Monde, 24/11/2006.
[7] Le Monde 23/11/2006.