De l’austérité à l’abondance
par
Publication : janvier 1977
Mise en ligne : 14 mars 2008
Imposer l’austérité tout en combattant
l’abondance ;
freiner les investissements et l’expansion tout en se proclamant pour
le progrès technique ;
réduire, de ce fait, la production nationale tout en se proposant
d’en exporter 40 % au delà de nos frontières ;
envisager froidement la permanence de plus d’un million de chômeurs...
voilà la politique française d’aujourd’hui.
Jacques Duboin avait raison d’écrire que les économies
de rareté ont atteint leur terme et qu’une économie distributive
de l’abondance est, dès à présent, nécessaire.
C’est ce qu’il, faut faire comprendre aux Français, et particulièrement
aux responsables politiques et syndicaux de la Gauche dont les intérêts
personnels sont les moins liés au régime du Profit.
ETRE PRIS AU SERIEUX
Exposer les mécanismes d’une économie
distributive ne suffit pas. Il ne suffit pas de montrer que, par le
Plan, la monnaie de consommation, le revenu social et la répartition
sociale du travail, l’économie distributive équilibrera
l’offre et la demande - ouvrira les portes de l’économie
à l’abondance, supprimera inflation et chômage.
Les esprits réfléchis - qui sont les seuls qui acceptent
de nous entendre - ne sauraient se satisfaire d’un schéma général
qui laisse dans l’ombre ce que deviendront les activités de ces
centaines de milliers d’entreprises qui sont les cellules actives de
ce grand corps qu’est l’économie nationale.
- « Si vous voulez organiser, selon la raison et les exigences
du bien public, l’économie française, il vous faudra discipliner
les activités de l’ensemble des entreprises. Cela me paraît
impossible », nous dit l’un de ces esprits réfléchis.
Il faut lui répondre : « Oui si leur statut juridique demeurait
celui d’aujourd’hui. En économie distributive, toutes les entreprises
travailleront d’ordre et pour compte de la nation qui prendra en charge
leurs obligations financières actuelles. Et n’oubliez pas que
cette « administration des choses » disposera de l’informatique
qui permet de coordonner les activités si diverses soient-elles
sans les noyer sous une bureaucratie. Enfin, si l’Etat distributif assume
les principales responsabilités économiques, il est politiquement
un Etat démocratique, décentralisé, coordonnant
l’action de régions largement autonomes agissant sous le contrôle
constant d’un peuple organisé de la base au sommet. » C’est
alors qu’il faut faire lire à notre interlocuteur dont la vision
économique demeure encore incertaine, le très clair exposé
que Jacques Duboin nous a laissé dans son livre « Rareté
et Abondance » (page 413) :
« Le Plan... est conçu dans le but de produire et de répartir
en vue des besoins réels de toute la population. Ses rédacteurs
s’inspireront donc des travaux des hommes de science qui étudient
les problèmes humains. Cependant, en dernière analyse,
la décision appartient au pouvoir politique qui doit être
l’émanation de la nation tout entière.
» Le Plan, rendu exécutoire, est réparti entre les
divers secteurs de l’économie. A son tour, chaque secteur fixe
le programme des établissements qui lui sont subordonnés.
» A la différence de ce qui se passe dans le socialisme
de la rareté, l’Etat ne réalise pas de profit sur les
consommateurs ; les établissements ne sont donc pas assujettis
à l’équilibre comptable. Ne payant ni appointements, ni
salaires, ni les fournitures qui leur sont nécessaires, ils ne
peuvent établir de prix de revient, ce qui importe peu puisqu’ils
n’ont pas de bénéfices à réaliser. Ils tiennent
donc la comptabilité des matières employées et
des temps de travail afin de permettre le contrôle de la fabrication
; ils règlent par des écritures et au moyen de bons- matières,
les opérations qu’ils traitent entre eux pour l’exécution
de leur programme de production. Ce n’est qu’au stade de la distribution
que les biens de consommation sont appréciés en monnaie,
conformément aux décisions du Plan. »
LE PRIX EN ECONOMIE DISTRIBUTIVE
Il est probable que notre interlocuteur nous demandera,
alors, sur quelles bases le Plan établira les prix de vente à
la consommation.
Nous laisserons répondre Jacques Duboin :
« Le montant nominal de la monnaie créée et distribuée,
valable pour un an par exemple, sera égal au total de la production
fournie par le service social dans le même laps de temps. Il y
aura lieu de tarifer les produits en tenant compte d’abord du degré
de leur nécessité, de leur abondance ensuite. Le bon marché
règnera ainsi pour tout ce qui est indispensable à la
vie, et le prix des objets s’élèvera dans la mesure où
leur rareté relative obligera de restreindre la demande. »
(« Libération », page 241).
Attendez-vous alors à la réaction classique de la part
d’hommes qui vivent depuis leur enfance sous le « régime
des comptes » et du Profit.
- « Mais vous dira, sans doute, votre interlocuteur, homme réfléchi,
on ne peut pas comptabiliser une valeur à partir seulement de
la « nécessité » d’un produit et de sa quantité.
La base de la valeur des choses, c’est le travail qui y est incorporé
».
Le disciple de Jacques Duboin répondra :
Il en est en effet ainsi dans les économies fondées sur
l’échange. Mais, en économie distributive de l’abondance,
le prix n’est plus une « valeur » représentative
du travail incorporé. Nous sommes sortis du salariat. Le travail
n’est plus une marchandise que l’on vend mais un service que l’on doit
à la collectivité. Le prix d’un produit n’est plus alors
qu’une fraction du total des prix de la production offerte. »
En économie distributive, il y a dissociation entre le travail
et le prix (ou le revenu), entre le système économique
et le système financier. » Le disciple de Jacques Duboin
doit alors suspendre son exposé. Il fera confiance à son
interlocuteur, sachant bien que ce n’est que par la réflexion
personnelle que l’on devient militant pour l’économie distributive.