Ça ira mieux demain
par
Publication : janvier 1977
Mise en ligne : 14 mars 2008
C’est notre Président qui le dit, ou plutôt
qui le chante, maintenant. Parce qu’il sait chanter aussi. Et puis les
discours cela ne prend plus tellement. Fallait trouver autre chose.
Il a trouvé. Vous avez pu l’entendre y aller de sa chansonnette,
sans accordéon, mais en duo avec Annie Cordy devant les petits
enfants sages invités à l’arbre de Noël de l’Elysée.
C’était hier. Et nous sommes déjà demain. Comme
le temps passe ! Et, vous l’avez peut-être remarqué, ça
ne va pas beaucoup mieux. Si je n’avais pas peur de le décourager,
notre Président - il faut si peu de chose pour le déprimer
- je dirais même que ça va plutôt mal. Pourtant,
il avait l’air d’y croire. Eh bien c’est raté.
Moi, ce qui me nâvre c’est que chez nous, en France, on a tout,
à part le pétrole, pour être heureux. On a même
des idées. Et aussi, et surtout, des hommes de gouvernement à
la hauteur, que le monde nous envie. Même qu’il paierait cher
pour les avoir. Des fortiches, des économistes plus ou moins
distingués qui sortent tous de Sciences Po, ou de l’E.N.A., sans
parler de tous les sauveurs qui se bousculent au portillon pour prendre
la relève le cas échéant.
Et ça va mal quand même.
Cela dit, et il fallait le dire, il n’y a pas de raison de s’affoler.
On en a vu d’autres. Et notre vieil ami Antoine Pinay est toujours en
pleine force, à ce qu’on dit. Et fin prêt. Donc pas de
panique, mais regardons les choses en face.
Ce n’est pas la première fois que la France est en péril.
Déjà sous la Troisième République - ce qui
ne nous rajeunit pas - un député lançait un jour
du haut de la tribune de l’Assemblée Nationale, dans une métaphore
hardie, ce cri d’alarme : « Le char de l’Etat navigue sur un volcan
! ».
A l’époque cela faisait rigoler. L’éloquence fout le camp.
Comme le reste. Aujourd’hui tout ce que la situation fait dire - j’emprunte
l’image à un élu de la majorité qui n’avait pas
encore entendu chanter Giscard - : « Le char de l’Etat pédale
dans la choucroute ». Ce qui n’est guère plus rassurant.
Alors, il y a bien quelque chose qui cloche dans le système.
Un mal sournois, un virus filtrant, un microbe pathogène - que
sais-je ? - ronge notre société, qui, d’accès de
fièvre en dépressions, n’en finit pas de rendre l’âme.
Ce mal devant lequel tous nos économistes patentés perdent
sinon leur latin, du moins les pédales, se manifeste par deux
symptômes alternés : chômage, inflation. Mais ce
qui déconcerte ces graves personnages penchés sur le moribond,
c’est qu’ils ne peuvent améliorer l’un de ces états sans
aggraver l’autre. Si, grâce au traitement emprunté à
M. Purgon, l’inflation diminue, c’est le chômage qui augmente.
Et réciproquement. On ne sort pas de là.
Eh bien, on en est sorti. M. Raymond Barre, lui, a réussi ce
joli tour de force avec son plan le chômage et l’inflation croissent
en même temps.
Que faire ?
J’ai bien ma petite idée, mais n’étant pas plus économiste
que distingué, j’ose à peine l’exprimer. Et puis, après
le meilleur économiste français, de quoi j’aurais l’air
? Eh bien, toutes les thérapeutiques classiques ayant échoué
les unes après les autres, j’ose.
On sait que l’un des bons moyens de sortir de la crise c’est d’exporter.
Exporter ou mourir, quelqu’un, avant Giscard avait déjà
chanté cet air-là. Mais pour exporter il faut avoir des
prix compétitifs, comme on dit. Avec des prix compétitifs
l’étranger achète, les devises rentrent, le franc remonte,
on est sauvés.
Nous avons un million de chômeurs, bientôt deux millions,
si on laisse faire. Peut-être plus. Des gens qui ne sont pas contents
et qui grognent à tout propos. Qui ne demandent qu’à travailler,
se morfondent dans l’inaction et qui paieraient cher pour trouver du
boulot. Jouer à la pétanque ou regarder Guy Lux à
la Télé toute la journée, c’est long. Et déprimant.
Je ne propose pas de les faire payer pour travailler, ce serait un peu
exagéré, mais de les faire travailler à l’oeil.
Ils seraient déjà bien contents d’avoir du boulot, pourquoi
les payer en plus ? Vous voyez l’astuce ?
C’est du coup que nos prix deviendraient compétitifs. Mieux que
les Japonais. Et que le monde entier s’arracherait nos marchandises,
même notre veau aux hormones. Et que la France serait sauvée
une fois de plus.
Vous allez me dire - mais dites-le, allez, ne vous gênez pas -
que mon truc est complètement idiot. Je suis bien le premier
à en convenir. Mais si vous trouvez que le plan Barre d’austérité
c’est plus malin...
Alors, puisqu’il est démontré par les faits que l’on ne
peut sortir de la crise - même qu’on s’y enfonce - dans le système
capitaliste, il faut substituer à l’économie du profit
l’économie des besoins, ou Economie Distributive.
C’est de l’utopie ? On n’a jamais essayé.
Ce serait peut-être le moment.