Publicité - Duplicité
par
Publication : janvier 1977
Mise en ligne : 14 mars 2008
« Dans notre société de consommation,
le nombre des vols augmente parallèlement au nombre de choses
à voler. »
Je relève cette phrase dans « HEBDO de Grenoble »
du 13 novembre 1976, en un article sur la criminalité.
J’accuse la publicité d’inciter à commettre le vol de
ces choses !
La publicité, envahissante, agressive, force le public à
vouloir posséder, coûte que coûte, des objets souvent
inutiles. On les achète sans discernement suffisant, sous la
pression morale de tentations savamment provoquées qui prennent
admirablement des formes multiples et variées.
Est particulièrement odieuse la publicité qui s’adresse
aux jeunes et pis encore celle qui viole la naïveté enfantine.
Les chourineurs modernes des mass-média exploitent à fond
le candide sourire de l’enfant qui sollicite de sa maman l’acquisition
de l’objet de ses rêves conditionnés. Les parents se privent
de l’essentiel pour satisfaire la soif d’inutile qui tourmente les gosses.
Avec son implacable logique, le jeune se dit : « Pourquoi n’ai-je
pas ce que tout le monde doit posséder ? La publicité
l’affirme.
Un provocateur au-dessus de tous soupçons.
Cette publicité omniprésente est plus
malhonnête que le vol qu’elle engendre car ce vol est punissable,
alors qu’elle jouit de l’impunité. On détrousse plus facilement
au coin des lois, qu’au coin des bois, disait-on jadis.
Les parents ont à peine les ressources pour faire face à
leurs dépenses élémentaires. Malgré cela,
le Moloch moderniste, monstre malfaisant, exige les sacrifices de son
culte et extorque, au nom de l’amour de l’enfant.
Mais si des parents ont la rare volonté de dire Non ?
Quelle autre solution choisiront les jeunes ? Ils affronteront les sarcasmes
de leurs camarades « Tes vieux ? Des demeurés, des épaves,
des pauv’ mecs, etc. ». Ces adolescents se replieront sur eux-
mêmes, passifs, frustrés. Ou bien, actifs, ils voleront
cette marchandise, dont il y a tant, disait Jacques Duboin, qu’on l’étale
sur les trottoirs. Comment ce qui est si abondant peut-il avoir une
valeur ? Si l’on subtilise une goutte d’eau dans cet océan d’objets
à vendre, le niveau de cette mer ne baissera pas. Mais la Société
vigilante condamnera celui qui a osé ne pas payer.
Il y a dans tout publicitaire un provocateur au vol, soit conscient
soit inconscient, en tous cas un réel facteur de délinquance
juvénile.
Le voleur de bicyclette.
Il y a peut-être un autre aspect du désarroi
de la jeunesse dans notre société de profit. Une anecdote
: Un jeune garçon économise pendant 2 ans en déposant
régulièrement à la Caisse d’Epargne. Son ambition
est d’acquérir l’outil de travail de Poulidor. Lorsque la somme
prévue est atteinte, ses parents lui retirent intérêt
et principal qu’il donne illico au marchand de cycles. Il revient à
pied chez lui, portant un cadre sur l’épaule. Les roues manquent,
car pendant que le garçonnet économisait, l’érosion
monétaire majorait les prix de 25 %.
Que peut penser un enfant du sérieux d’une, Institution qui,
en 24 mois de privation et d’espérance, ampute deux roues à
une bicyclette ? Du vol !
Les diaboliques.
Ce ne sont pas seulement les gens de gouvernement
qui font cette société dite de consommation pour les uns,
et surtout de consomption pour les autres, mais tous ceux qui, par leur
pouvoir, leur situation, leurs moyens financiers, disposent des rouages
essentiels. Devant si peu de morale de la part de ces êtres humains
respectables, puisque riches, les jeunes, ni plus ni moins courageux
ou chevaleresques que ceux des générations précédentes,
comprennent l’inanité d’attaquer ces grosses entreprises bien
défendues par des polices privées ou d’Etat, la Justice
et ses hommes dits de loi. Ils se sentent rejetés.
Si notre société veut des jeunes meilleurs, qu’elle commence
par s’amender, par ne plus tromper les enfants et les adolescents à
l’aide d’une publicité exploiteuse. La publicité est déjà
superflue pour le consommateur adulte, car elle ne le renseigne pas,
comme on le prétend, mais, toujours, l’abuse. La publicité
est, de nature, invariablement et inévitablement trompeuse, enjoleuse,
menteuse, dans ses termes comme dans ses résultats.
Mettons la publicité au banc d’accusation.