Rien ne va plus !
par
Publication : octobre 1982
Mise en ligne : 28 mars 2008
VINGT-CINQ pays sont au bord de la faillite. C’est ce qui ressort des
statistiques de la Banque des Règlements Internationaux. Cette
crise monétaire a commencé par la banqueroute du Mexique.
Bien des pays d’Amérique latine, dont le Venezuela, le pays le
plus riche de l’Amérique du Sud, au 6e rang dans la production
mondiale de pétrole, ont un endettement qui représente
une part si importante de leurs ressources que les Banques créditrices,
y compris les établissements bancaires occidentaux les plus puissants,
se voient entraînés par leur déroute : d’après
le journaliste J. Mornand (*), un des dirigeants de la Chase Manhattan
Bank (l’une des plus grandes « maisons » de Wall Street)
a reconnu que si, comme il est à craindre, « l’ensemble
de l’Amérique Latine faisait défaut, cela entraînerait
l’effondrement de toutes les banques américaines qui lui ont
prêté plus de 60 milliards de dollars... » C’est
la perspective de cet énorme krach mondial qui a amené
le Premier Ministre Canadien a déclarer, avant l’ouverture à
Toronto de la session annuelle du Fonds Monétaire International
« Jusqu’à présent, on redoutait seulement les effets
de la crise. Maintenant, c’est la catastrophe qui risque de s’abattre
sur nous. »
Bien entendu, le F.M.I. va faire le nécessaire, quelques jeux
d’écritures, pour annuler les dettes irremboursables. Ceci s’est
déjà fait, on s’en souvient, pour les dettes de guerre.
Mais n’est-ce pas la preuve éclatante que l’argent, tel qu’on
l’utilise depuis quelques siècles, a fait son temps ? qu’il a
perdu le rôle d’organisateur des échanges économiques
pour lequel il a été inventé ?
Vous en faut-il une autre preuve ? Comparez deux pays voisins dont l’histoire
a montré une certaine similitude : la Grande-Bretagne et la France.
Le premier est dirigé avec une poigne de fer par un gouvernement
ultra-conservateur ; l’une des raisons avancées pour expliquer
la crise qu’il traverse (et qui vient de se traduire par un record de
chômage) est que sa monnaie est trop forte, la balance de son
commerce extérieur est trop positive. Dans le second, nous avons
un gouvernement de gauche, un chômage pas mal non plus, mais tout
vient de ce que notre monnaie est trop faible et notre balance du commerce
extérieur trop négative !
Alors ? On voit que la politique de nos politiciens ou de ceux de Mme
Thatcher, achoppe sur cette même impossibilité de maintenir
les relations économiques de notre temps sur les bases établies
au temps de la marine à voile. Dans ces deux pays, aux politiques
opposées, la même solution est cependant adoptée
: on va partout se sacrifier afin d’augmenter, parallèlement,
nos compétitivités. Ce serait évidemment très
malin... si seulement les autres n’en faisaient pas justement autant.
Mais allez leur expliquer ! Et allez demander aux Japonais de nous attendre
!
Bien sûr, nos économistes de gauche ont été
formés dans le même moule que ceux qu’ils remplacent. Mais
leurs. aspirations humanitaires ne pourraient-elles pas leur ouvrir
les yeux ? S’ils avaient, comme ils le prétendent, les yeux ouverts,
ne verraient-ils pas qu’augmenter la compétitivité aboutit
logiquement à remplacer des salariés par des automatismes,
dès lors que le prix d’un robot ne cesse de baisser tandis que
croissent les salaires ? On va donc encore augmenter nos possibilités
de production sans pour autant distribuer parallèlement le pouvoir
d’achat permettant de consommer. Et on s’étonnera que le moteur
de l’économie soit grippé
Il en sera ainsi jusqu’au jour où on osera renoncer à
notre façon de concevoir l’argent. Il faut que celui-ci ne soit
plus qu’un pouvoir d’accès à la production et qu’il soit
créé, sous forme de revenu social dû à tout
être humain, proportionnellement à cette production.
La France socialiste se doit de prendre l’initiative en portant au compte
de tous ses consommateurs en puissance (mais que le système des
échanges marchands ignore, parce qu’ils ne sont pas « solvables
») un crédit en une monnaie interne qui leur donnerait
accès aux productions du pays. Ceci n’empêcherait pas de
conserver le franc tel qu’il est pour le marché international,
mais permettrait de donner à la production et à -là
consommation internes l’organisation dont elles ont besoin pour s’équilibrer.
(*) dans le « Nouvel-Observateur », n° 931.