La maladie de la jeunesse

Editorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 1977
Mise en ligne : 17 avril 2008

IL semble que jamais le fossé entre deux générations n’est apparu si profond que celui qui sépare aujourd’hui en France les plus de quarante ans des jeunes qui ont entre 15 et 24 ans.
Cette séparation, source de bien des incompréhensions, qui vont parfois jusqu’à de dramatiques conflits, est, elle aussi, le reflet de la formidable révolution annoncée dès 1934 par Jacques Duboin et dont nous ne cessons, dans ces colonnes, de montrer les effets et d’annoncer les conséquences pour y pallier.
La confirmation de cette analyse vient de nous être apportée par le résultat d’une enquête sur la jeunesse que vient de publier Hugues de Gaalon*, ancien responsable d’études sociologiques à l’I.F.O.P.
Nous nous devons de faire part à nos lecteurs de cette enquête, tant ces conclusions rejoignent les nôtres.

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H. de Gaalon montre d’abord qu’à l’inverse de bien des sociétés où l’adolescence n’est qu’un court passage initiatique, la jeunesse française à notre époque constitue vraiment une catégorie sociale. La prise de conscience de cette réalité sociale nouvelle n’est pas seulement due aux moyens d’information, car la publicité en prenant la jeunesse pour « cible », a renforcé sa séparation des autres communautés d’âge. Ceci a pour conséquence d’affaiblir les autres appartenances, milieux sociaux-professionnels, géographiques ou culturels, et c’est ainsi que les jeunes travailleurs peuvent se situer dans une catégorie sociale d’où leur statut économique tendrait à les exclure.
Cette catégorie sociale se trouve dans un véritable ghetto caractérisé par d’insupportables contradictions : «  pouvoir sans faire, savoir sans appliquer, capacité sans réalisation... L’allongement de la période d’adolescence qui retarde l’entrée dans la vie active et l’accès aux responsabilités, s’accompagne d’un mouvement inverse qui tend à abaisser l’âge où l’on a le droit de faire les choses » (droit de vote à 18 ans). De plus, « l’école donne aux adolescents les moyens intellectuels d’une compréhension critique d’une société dont les différentes caractéristiques, compétitions, violence, instabilité, matérialisme, ne peuvent que les angoisser et leur faire souhaiter ne jamais y entrer ».
La concurrence entre journalistes ou présentateurs de télévision poussent ceux-ci à présenter l’information de manière dramatisée, ce qui ne fait qu’augmenter ce malaise.
Or c’est par comparaison aux différents modèles qui leur sont proposés que les jeunes recherchent puis affirment leurs personnalités. Et c’est sans doute là qu’H. de Gaalon nous rejoint le plus clairement en affirmant que cette identification est rendue aux jeunes plus difficile que jamais pour les deux raisons suivantes : « les modèles sont de plus en plus incohérents et de plus en plus inadaptés ».
Donnons-lui la parole :
« L’incohérence des modèles a pour conséquence l’insécurité et les comportements d’auto-destruction, d’agression ou de fuite qui s’en suivent... Les modèles sont également inadaptés. Il n’est plus possible aujourd’hui comme il l’était encore il y a 50 ans de penser qu’un jeune puisse vivre dans un monde semblable à celui connu par ses parents. Nombre de valeurs et d’exemples sont inadaptés aux réalités d’une société qui change rapidement ».
Hugues de Gaalon poursuit clairement : « Abondance et changements sont les deux maîtres-mots de la société moderne, qui s’opposent à la rareté et à la stabilité qui étaient encore les caractéristiques dominantes voici un demi-siècle... Une étude du contenu des livres destinés à l’enfance et à la jeunesse montre d’ailleurs comment nous sommes passés d’une pédagogie de rareté à une pédagogie de l’abondance... Les générations précédentes ont été éduquées dans l’idée que les biens n’étaient pas donnés mais acquis, qu’ils étaient rares tut qu’on ne pouvait les obtenir qu’au prix d’un labeur difficile. Aujourd’hui la vitrine de la société de consommation et son chantre, la publicité, tendent à faire croire que les biens débordent, qu’ils sont offerts et que la satisfaction facile a mis fin au, régime de l’acquisition pénible ».
C’est sur deux raisons de voir l’avenir avec. optimisme que H. de Gaalon a voulu conclure` : « la plus grande faculté d’innovation et d’adaptation au changement, les nombreux signes de rejet, des valeurs économiques de la société de consommation ».

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Nos raisons personnelles d’optimisme sont de voir qu’un jeune sociologue patenté rejoint si parfaitement nos analyses et nos conclusions. Il répond ainsi de façon éclatante à ceux de nos camarades qui, au seuil d’une vie de lutte pour défendre les thèses de J. Duboin, croient devoir se désespérer en croyant qu’elles n’ont pas fait leur chemin : la réalité est qu’elles se répandent insensiblement mais irrévocablement et de plus eh plus généralement et de plus en plus vite.
Jamais sans doute la vérité que nous défendons n’a été si flagrante.

(*) Dans le n° 17 de « Armées d’aujourd’hui  ».