Révolution mécanicienne et contre-révolution


par  M. DIEUDONNÉ
Publication : juillet 1977
Mise en ligne : 17 avril 2008

AU fur et à mesure que se développe le progrès technique, le travail des machines de plus en plus automatiques se substitue de plus en plus au travail des hommes. Comme le progrès est illimité et irréversible, il condamne irremediablement I’emploi, le salaire en résultant, puis, en chaîne, tous les autres gains et, finalement, l’économie du gain... que nous croyions immortelle !..
un peut donc affirmer sans hésitation que la revolution mécanicienne est l’événement le plus important de tous les temps. tellement important que tout ce qui lui est étranger est relativement insignifiant. Les partis politiques qui sont au pouvoir ou veulent y parvenir pour présider aux destinées de la Société, réagissent à ce sensationnel événement... en l’ignorant ! C’est incroyable, mais vrai.
En effet :
1°) Puisque l’économie du gain est destinée à disparaître, il serait sage de prévoir son remplacement par une économie sans gain, c’est-à-dire par l’économie distributive. Aucun parti ne s’en soucie.
2°) Il est vain de S’OPPOSER à l’implacable révolution mécanicienne, irréversible et illimitée, qui SUPPRIME L’EMPLOI. Pourtant, tous les partis s’y OPPOSENT en réclamant ou en promettant la CREATION D’EMPLOIS, manifestant ainsi une attitude contre-révolutionnaire, à l’encontre de la révolution mécanicienne.
3°) Cependant, tous les partis manifestent un aspect positif en la matière. Tous ont approximativement le même programme de réalisations sociales, qu’ils appliquent quand ils sont au gouvernement ou dans des municipalités. Tous sont d’accord pour distribuer des revenus sociaux (indemnités, allocations ou primes) à des millions de chômeurs, d’handicapés, de veuves, de personnes âgées, de mères célibataires. Tous sont ainsi placés, bien involontairement d’ailleurs, dans le sens de l’évolution, qui nous entraîne vers l’économie distributive, tellement nécessaire qu’elle s’implante dans la réalité par l’extension de la distribution de revenus sociaux dont on ne peut plus se passer.

Il n’y a plus de « droite » ni de «  gauche »

Comme on le voit, dans leurs rapports avec la révolution mécanicienne, qui domine l’actualité et la destinée de l’humanité, fous les partis ont le même comportement. On se demande alors pourquoi il y en a tant ? En réalité, il n’y a plus de partis différents, il n’y a plus qu’un seul parti, et un seul syndicat, sous des appellations différentes, interchangeables tant toutes conviennent à tous. Citons :
- Le Parti Socialiste Unifié des conservateurs de l’emploi.
- Le Parti des Indépendants enchaînés au dividende des actionnaires de l’entreprise privée (chou vert).
- Le Parti Socialiste pour ; la défense de la rente des obligataires de l’entreprise nationalisée (vert chou).
- Le Parti Commun aux contre-révolutionnaires de la révolution mécanicienne (chou rouge).
- Le Parti des Réformateurs d’un monde réformé par le travail de plus en plus automatique des machines.
- Le Parti Radicalement Sourd à l’économie distributive, à laquelle il entrouvre aveuglément la porte par la distribution de revenus sociaux.
- Le Rassemblement Pour le Retardement de l’épanouissement de la société nouvelle.
- La Confédération Générale des Travailleurs et des Patrons conservateurs du salaire et du profit.

Le retard de la pensée

Le but de la forme humoristique de ces définitions n’est pas de nous distraire au détriment des partis et des syndicats, mais de mettre en relief leur retard sur la marche du monde.
Notre esprit a pris un retard considérable. Il n’est pas dans le présent et face à l’avenir. Il est resté dans le passé. Il s’attarde à l’époque où il n’y avait pas encore de machines pour se substituer au travail des hommes.
Plus la société du gain se dégrade sous les coups redoublés que le progrès technique lui assène sans désemparer, plus dure et même plus féroce devient la lutte économique, sociale, syndicale, politique, électorale pour d’éphémères améliorations ou adaptations, pour la prise du pouvoir par les uns ou par les autres, ce qui ne signifie pas grand chose, les uns ne pouvant faire mieux que les autres dans cette économie du gain, que personne ne veut abandonner à son implacable destin. Tout ce tintamarre des batailles fratricides est d’autant plus odieux qu’il est inutile. C’est se battre pour rien. C’est gaspiller une immense et précieuse énergie. C’est s’agiter en pure perte. Parce que nous ne sommes plus dans le coup.
Nous nous comportons comme si le progrès technique ne bouleversait pas le monde ancestral. Ce bouleversement ne nous plaît pas, c’est entendu, nous n’aimons pas le changement, surtout celui-là qui s’impose à nous, et d’une telle profondeur !.. Mais la révolution mécanicienne ne nous a pas demandé notre avis. Nous ne pouvons pas entraver sa course, illimitée et irréversible, de plus en plus rapide. Alors, nous ne pouvons plus nous sauver qu’en entrant résolument dans son jeu. Le lecteur qui commence à prendre connaissance de nos thèses qualifie l’économie distributive d’utopie, de FOLIE IRREALISABLE, mais l’éviction du travail humain de la production mécanique et automatique n’est-elle pas une FOLIE DEJA REALISEE en partie ? C’est d’ailleurs pourquoi il y a de plus en plus de chômeurs et surtout de plus en plus de personnes occupées à des activités inutiles ou nuisibles. Si folie il y a, il faut hausser notre compréhension et notre but à hauteur de la folie.

Sortir du marécage de la médiocrité

C’est être médiocre de réclamer ou promettre de l’emploi, balayé par le progrès, au lieu de réaliser la libération économique de l’homme, en absorbant le chômage par la diminution de la durée du travail imparti à chacun, en supprimant le travail inutile ou nuisible. Ces mesures de raison ne sont possibles qu’en économie distributive.
C’est également faire preuve de médiocrité que de vouloir établir une impossible justice dans les impôts, alors que l’évolution pousse à la distribution d’un revenu social à tout le monde, ce qui rendrait l’impôt inutile en economie distributive. Cette perspective devrait réconcilier tous les contribuables, quelle que soit leur appartenance politique actuelle, puisque l’impôt ne plaît à personne.

Choisir la meilleure solution

Le socialisme de type nordique ou marxiste, avec leurs salaires dépassés par la marche du monde, sont des projets déjà enterrés au cimetière de l’histoire, où il serait sage de les laisser reposer dans la paix de l’éternité.
La révolution préconisée par les méchants loups du « gauchisme » n’est plus que bêlement d’agneau relativement à la grandiose révolution mécanicienne en cours, qui chasse l’homme de l’activité utile et nous impose l’économie du revenu social, ou, à défaut, l’expansion de l’immense activité inutile ou nuisible, la préparation à la guerre, (cent millions d’emplois dans le monde), et finalement le paroxysme de la confusion. Nous évoluons à la fois vers l’apocalypse de l’effondrement par la suppression de l’emploi utile, et vers l’apothéose de l’économie distributive par la distribution des revenus sociaux. Si nous ne choisissons et ne réalisons pas maintenant la meilleure de ces deux possibilités, nous subirons la plus mauvaise. Ne pas maîtriser les événements, c’est se laisser maîtriser et emporter par eux. L’on sait qu’ils se déroulent de plus en plus rapidement...
Le chaos économique et social ; la confusion qui règne dans les esprits ; la multiplication des syndicats, des partis, des organisations de défense d’intérêts catégoriels  ; toutes sortes de difficultés imbriquées les unes dans les autres, insolubles dans l’état présent des choses, et la division des hommes entre eux, sont provoqués et aggravés par la nécessité faite à tous les êtres humains de gagner de l’argent pour vivre, ce qui devient de plus en plus infernal au fur et à mesure que le progrès élimine l’emploi utile. Mais élevons notre pensée à ce niveau de l’évolution, et nous verrons la réconciliation s’effectuer entre tous les membres de la société.
Dans notre monde d’inconscience, d’ignorance et de folie, il n’y a d’espérance que dans le flambeau légué par Jacques Duboin à ses disciples. Nous sommes isolés, traités d’utopistes, d’illuminés, voire d’Incas (sic). Qu’importe ! Serrons les rangs de nos maigres effectifs au milieu de la meute, afin de faciliter, suivant nos possibilités, la venue de la société nouvelle qui veut naître.

(Extrait d’un ouvrage en préparation).