Coup double !


par  G. LASSERRE
Publication : octobre 1992
Mise en ligne : 19 avril 2008

Les résultats du référendum sont excellents : la réponse de la France est intelligente. Le résultat étant positif, l’Europe est sauvée. De justesse, certes, en chiffres, mais sans ambiguïté. D’ailleurs, l’Histoire ne retiendra que le OUI, comme elle n’a retenu que le OUI, à une voix près, lors de l’avènement de la III ème République Française, en 1871.

La réponse est intelligente, parce que la géographie des motivations des NON (il y en a plusieurs), est claire.

Il y a :

1- Ceux qui ont voté NON à Mitterrand, soit 20% des NON, 10 % des votes, 7 % du corps électoral. C’est peu en regard de la pression abusive des tribuns sans nuances et bloqués que sont les Pasqua, Séguin, de Villiers, Le Pen et Marchais, à laquelle les défenseurs du OUi ne pouvaient honnêtement opposer [1] que des idées généreuses d’ouverture à l’Europe. Car le bon peuple n’entend rien aux subtilités d’un traité ouvert et évolutif, bardé de soupapes et autres possibilités d’alternative, et qui ne met que fort peu en cause les souverainetés nationales directes. Traité forcément imparfait à ce premier stade, car la tâche était extrêmement difficile pour les initiateurs et pour les rédacteurs (et sans doute aussi pour les traducteurs) et ils s’en sont fort bien tirés.

Ce NON politique-là, réponse à côté du sujet, reste un NON sans gloire d’irresponsables. Or 7 %, c’est peu.

2-.Ceux qui n’ont pas voté (30 %) parce qu’ils n’y comprennent rien. C’était donc une sage et honnête décision. A ceux-là se sont mêmés ceux qui ne votent jamais, essentiellement pour les mêmes raisons.

3-. Enfin et surtout, la campagne française, qui a réagit avec vigueur en dénonçant sans nuancce la technocratie bruxelloise, prise pour bouc émissaire. Ici le NON est une réaction claire et nette de survie de la part de populations que l’histoire de l’humanité ne magnifiera jamais trop : les agriculteurs…Labourage et pastourage sont les deux mamelles de la France éternelle…

Choix sous pression

Nous ne sommes pas contre ce qu’on appelle bien vite la technocratie : il est aujourd’hui impossible de se passer, en quelque domaine que ce soit, de techniciens et autre gens compétents (banquiers compris…) Certes, ce sont des technocrates qui, confrontés à des choix déchirants ont édicté les mesures de stérilisation des terres et de contingentement de production, au mépris des producteurs. Mais c’est sous la pression gigantesque de la scandaleuse Amérique (épaulée par l’Angleterre) : une pression politique maligne (directe, contre l’ensemble de l’Europe), et surtout amorale (indirecte, contre les populations affamées du tiers-monde). Et la décision appartenait en fin de compte aux hommes politiques, qui se sont certainement posé (c’est à leur honneur) de graves problèmes de conscience…

La réaction de la paysannerie française l’honore parce qu’elle déborde largement le cadre hexagonal : elle doit être prise en compte par le reste de l’Europe, et elle le sera certainement. Elle est porteuse d’un NON à l’Amérique, et bien plus loin, d’un NON à un système de valeurs lamentable, qu’on retrouve en entier dans le monétarisme féodal et son corollaire, le faux libéralisme des marchés, qui éreinte les pays divisés.

Le NON des agriculteurs-éleveurs français doit être entendu comme un cri de révolte contre les marchés scandaleusement déclarés libres. Cri de l’ensemble des culs-terreux de toute la Terre, gardiens de ses valeurs authentiques et de ses beautés, des valeurs humaines au sens plein du terme. Leur NON est porteur des impossibles révoltes des producteurs de riz du Sud-Est asiatique (qui ne sont même pas conscients que leur riz arrive sur les tables japonaises à 8 fois son prix de sortie), des producteurs de café, de sucre, de coton, de jute, etc.

Les chocs pétroliers ont tourné court, contrés par un gigantesque choc monétaire (qui a porté le dollar à 10 F en 1985), choc que personne n’a dénoncé en tant que tel à l’époque. Pourtant un tel choc prépare les chocs agricoles.

Dénoncer le monétarisme

Les temps sont venus de dénoncer le monétarisme (entendez par là le rôle de la monnaie), imposé par l’Anglo-Amérique, couronnée de ses prix Nobel, apprentis sorciers de la Valeur en conserve, champions abusifs et éphémères [2]. Nous en reparlerons…

Très bons résultats, donc, du référendum, par son coup double : OUI profond à l’Europe, NON catégorique (à travers les technocrates) à l’Amérique et à l’Angleterre, qui sont au demeurant en train de payer (ah, la bonne heure !), mais qu’il faut empêcher à tout prix de faire payer à l’Europe continentale…


[1hors quelques dénégations ponctuelles aux mensonges démagogiques criants, destinés à effrayer certains corps socio-économiques

[2à peine un peu plus d’un demi-siècle a suffi pour que Keynes mette à genoux une Anglo-Amérique qui verse aujourd’hui dans la tragédie du déclin et de l’échec irréfutable.