Toujours cette abondance

Etranger
par  P. SIMON
Publication : novembre 1977
Mise en ligne : 27 mai 2008

IL y a dix ans, un ouvrage apparemment sérieux, prédisait la famine dans le monde pour 1975. Pas seulement en Inde ou au Sahel, ce qui ne surprendrait personne, mais même dans les pays riches. L’année 1975 s’est écoulée sans

que le manque de nourriture se remarque plus que d’habitude. Cependant, de doctes experts, dont le président du Worldwatch Institute, ont déclaré à nouveau, en 1975, que les réserves mondiales de céréales se trouvaient à un niveau dangereusement bas et qu’il n’existait aucun espoir raisonnable de les reconstituer. En septembre 1977 le blé déborde des silos  !
L’abondance ne touche pas que le blé. La récolte mondiale de riz, qui constitue l’aliment de base de tant de nations pauvres, va battre en 1977 un nouveau record, atteignant 350 millions de tonnes. La récolte de blé, elle, est en léger recul sur l’année précédente (390 millions de tonnes contre 415) mais le blé est l’aliment des pays riches qui disposent d’autres sources de nourriture. Quant à l’Inde, l’un des pays pour lesquels on « nourrissait » les plus vives inquiétudes dans les années 60, elle déplore l’insuffisance de ses capacités de stockage devant une récolte massive de céréales.
Bien sûr, cette abondance ne fait pas le bonheur de tout le monde. Ainsi, les fermiers américains ont vu avec regret leurs prix baisser de 165 dollars la tonne en 1973 à environ 73 dollars en 1977. A propos, le prix du pain et autres aliments à base de blé a-t-il baissé substantiellement aux EtatsUnis ? On peut gager que non.
Devant cette situation catastrophique on ressuscite les bonnes vieilles solutions. C’est ainsi que le gouvernement fédéral voudrait remettre en jachère environ un cinquième des terres cultivées en céréales et constituer des stocks. Et pourtant, dans le monde, des millions d’êtres meurent de faim ou sont sous-alimentés, faute de pouvoir acheter le blé dont ils ont besoin au prix où il est offert sur le marché mondial. Car le blé est encore trop cher pour eux. Or, il faut bien que le producteur couvre ses frais et fasse un bénéfice, s’il veut vivre et si l’on veut qu’il continue à produire. On ne saurait le lui reprocher.
Alors, les experts des grands pays exportateurs (Russie, Australie, Canada et Etats-Unis) se sont réunis, conscients qu’ils sont du problème économique et moral que pose l’abondance de céréales dans les silos des pays producteurs. Ils envisagent sérieusement de créer des réserves internationales de produits alimentaires achetées à prix élevés aux producteurs et revendus à un prix abordable (?) aux utilisateurs nécessiteux. Ces réserves ne seraient pas constituées et gérées uniquement par les pays producteurs afin que le coût, sans doute élevé, d’une telle opération, soit réparti sur le plus grand nombre de pays. Une sorte d’aide sociale internationale, en somme, à l’intention des nations défavorisées. Ce serait là une intéressante extension à l’échelon mondial des transferts qui s’opèrent déjà communément à l’intérieur des frontières de certains pays. Va-t-on vers une sorte de redistribution des richesses ? Si oui, pourquoi ne pas s’inspirer des leçons de l’économie distributive  ?
Quant au riz, dont tant de pays pauvres ont un besoin vital, il n’est pas question pour l’instant de lui appliquer une telle solution car les pays riches n’en produisent pas en excédent.