Une occasion manquée
par
Publication : novembre 1977
Mise en ligne : 27 mai 2008
Le meilleur économiste français vient
de rater une belle occasion de décrocher le titre de meilleur
économiste international.
M. de Guiringaud, notre ministre des Affaires étrangères,
lors d’une petite visite en Tanzanie où on l’avait envoyé
parler buiseness, s’est fait quelque peu malmener par les autochtones
à sa descente d’avion sur l’aérodrome de Dar-el-Saalam,
et même saluer aux cris de « go home », ce qui, en
tanzanien, signifie : foutez le camp !
M. de Guiringaud, qui ne s’attendait pas à un tel accueil, après
quelques minutes de réflexion, le temps de traduire en français
moderne, a repris ses cliques et ses claques et regagné précipitamment
l’hexagone, où il fait quand même meilleur que chez les
sauvages, pour aller raconter sa mésaventure au Premier ministre.
Mais le Premier ministre a bien d’autres soucis en tête en ce
moment avec les élections qui approchent, le plan Barre gui reste
en plan, et tous les enquiquinements que peut avoir un chef de gouvernement,
le chômage, les prix, la relance, l’opposition, Chirac et le reste.
Alors, la Tanzanie, comment qu’il s’en tape !
Bref, la France éternelle vient d’essuyer un affront à
la face du monde, et la France éternelle n’a pas bougé.
Mais de quoi qu’on a l’air ?
Autrefois on aurait pas laissé ça là. On savait
se faire respecter. Pour un simple coup d’éventail, c’était
pas bien méchant du Bey d’Alger à notre ambassadeur, on
envoyait une canonnière en Afrique du Nord, suivie d’un corps
expéditionnaire,’ du père Bugeaud avec sa casquette, et
on allait planter le drapeau tricolore sur la casbah, pour laver notre
honneur national outragé. Et ça se terminait par un défilé
sous l’arc de triomphe et un nouveau chapitre à, l’histoire de
France...
Tandis qu’aujourd’hui...
On avait là, pourtant, une belle, occasion de remonter le moral
des anciens combattants, de réveiller la Bourse, qui reste encore
un peu somnolente malgré la rupture de l’union de la gauche,
et réveiller notre économie déprimée.
Le coup de pied au derrière - soyons poli - encaissé par
M. de Guiringaud c’était tout de même un casus belli, comme
on dit en langage diplomatique. Dans cette période difficile
que nous traversons, et pour une fois qu’on avait un ennemi héréditaire
sous la main, c’était le moment ou jamais d’y aller. Rien de
tel qu’une bonne petite guéguerre fraîche et joyeuse pour
relancer les affaires, et réaliser le plein-emploi.
Comment a-t-on pu hésiter ? La Tanzanie ne nous fait pas peur,
tout de même ?
Une supposition qu’on aurait déclaré la guerre au président
Uyeréré, mobilisé deux ou trois classes, qu’on
serait allé chercher Bigeard dans le maquis et qu’on l’aurait
envoyé avec ses paras remettre un peu d’ordre en Tanzanie et
dans les pays voisins. en récupérant au passage l’Algérie
française, hein ? Ca aurait fait de beaux sujets de conversation
et de beaux thèmes de discours. Au lieu de pleurnicher sur la
hausse des prix, le chômage, les impôts, et tout. Et en
plus, cela nous aurait débarrassés de cette jeunesse contestataire
et aux cheveux longs, dont on ne sait que faire.
Je sais bien que ce serait payer un peu cher la relance espérée
d’un système économique moribond que pas plus le programme
commun que le plan Barre ne peuvent sauver.
Mais il n’y a pas d’autre choix, pour ceux qui nous gouvernent et ceux
qui aspirent à nous gouverner : la crise qui, entre l’inflation
et le chômage peut nous entraîner dans la guerre, ou l’Economie
Distributive.