Il faut arrêter ces crimes !
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Mise en ligne : 31 juillet 2008
L es conséquences de la course au profit financier, telle qu’elle s’est généralisée et est devenue l’objectif de toute entreprise, a partout des conséquences catastrophiques, mais c’est sur l’agriculture que ses effets sont les plus lourds. Les économistes théoriciens du capitalisme, avec leurs belles théories sur les rendements, les coûts marginaux, les vertus de la spécialisation etc, ont convaincu les “grands investisseurs” que leur intérêt était de transformer l’agriculture en de vastes entreprises gérées selon leurs “sains” principes, déjà appliqués à l’industrie : achetez toutes les terres agricoles que vous pourrez, leur dirent-ils, et pour en tirer les meilleurs rendements, organisez-en l’exploitation de façon intensive : tel pays, telle spécialité, vous en obtiendrez une production massive que le monde entier vous achètera (puisqu’il n’aura plus le choix) et l’alimentation sera une affaire qui marche, d’abord pour vous, ensuite pour les marchands de semences, d’engrais et de matériel agricole, puis pour les transporteurs qui vont sillonner la planéte sur les routes, les mers et dans le ciel et enfin, au bout de cette chaîne, pour les grands distributeurs. Ce productivisme était, d’après eux, la clef de la prospérité pour tous.
Ce fut effectivement très lucratif pour toutes les multinationales concernées, et du travail pour leurs employés. N’empêche que toute cette belle construction se révèle une catastrophe : d’abord pour les paysans dépossédés de leurs terres, ils sont la majorité des 860 millions de personnes qui souffrent de malnutrition, ensuite pour les terres elles-mêmes et pour l’environnement (érosion, épuisement des sols par absence de rotation, perte de la biodiversité, abus de pesticides et d’engrais, pollution de l’atmosphère et des nappes phréatiques, etc.) et enfin pour toutes les populations du monde parce que cette production de masse n’est pas saine, le choix de la quantité s’est fait au détriment de la qualité, alors qu’évidemment la santé dépend de l’alimentation.
À l’origine de cette “modernisation” de l’agriculture mondiale, les idéologues de l’économie libérale raisonnent en ne prenant en considération qu’un seul et unique critère, la rentabilité. En établissant leurs règles pour augmenter les rendements, en affirmant la nécessité de la compétitivité et de la croissance, ils ont écarté tous les autres aspects, négligeant ce qui est vivant, impondérable, souvent changeant, imprévisible. Ils ont ainsi méprisé les risques qu’ils faisaient courir à la nature et à l’humain.
Au vu du résultat, on peut parler de crime contre l’humanité, présente et à venir.
La gravité des conséquences de ces errements impose de changer totalement la façon de concevoir l’économie. Il faut, au contraire, donner la priorité à l’humain et à la protection la nature, au lieu de … les exploiter, dans tous les sens de ce terme.
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Mais se fixer d’autres objectifs, cela signifie sortir du capitalisme, même si cette vérité est difficile à admettre.
Ne l’ayant pas encore admise, ou bien effrayés par l’étendue du pas à franchir, de plus en plus de gens cherchent les moyens de suivre d’autres aspirations sans sortir de cette économie de marché. Ou sans y penser.
Certains expérimentent des ententes concertées entre citoyens, producteurs et consommateurs, pour décider eux-mêmes de ce qu’ils vont produire et consommer. Je cite [1] ces expériences car elles me paraissent être une avancée vers ce que j’ai proposé [2] sous le nom de “contrat civique” en économie distributive. Bien qu’il soit envisagé d’en lancer dans le domaine du spectacle, toutes ces expériences actuelles se pratiquent dans le secteur agricole. Il y en a depuis près de 40 ans au Japon (les Seikatsu), aux États-Unis elles portent le nom de Community Supported Agriculture (CSA) et en France, elles s’intègrent dans le réseau Alliance paysanne et portent le nom d’AMAP [3]. Leur motivation est clairement annoncée : il s’agit de « contrats locaux entre agriculteurs et consommateurs » s’engageant mutuellement, les uns pour produire, les autres pour acheter et consommer, des vivres issues d’une agriculture raisonnée, respectueuse de l’environnement et de bonne qualité.
Parmi ces chercheurs d’avenir pour l’humanité beaucoup sont convaincus de la nécessité de développer partout dans le monde une autre agriculture. Parmi eux, les adhérents du mouvement “Changer d’agriculture !”, partisans d’une agriculture dite “organique”, sont conscients que les conséquences de leurs choix dépassent leur propre intérêt, et ils ont tenté de le faire comprendre aux responsables du G8 qui se concertaient, en mai dernier, sur les problèmes posés par l’environnement. Nous pensons que, bien que cela ne suffise pas, ils ont tout à fait raison, leurs arguments sont solides.
Doutant de l’audience que leur accorderont les puissants de ce monde, et les grands médias, nous publions [4] la traduction en Français de leur intervention, pour la faire connaître.
[1] dans Mais où va l’argent ? page 226.
[2] dans GR 901 de juillet 1991.
[3] AMAP= Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne.
[4] ci-dessous, pages 5-6.