Frères ennemis ou faux problèmes
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Publication : mars 1978
Mise en ligne : 28 août 2008
Ni les Socialistes, ni les Communistes, pas même les écologistes ne proposent de mettre fin à l’économie de marché...
DEPUIS la scission du Congrès de Tours, Communistes
et Socialistes ont, à plusieurs reprises, tenté de se
coaliser pour prendre le pouvoir ; mais leur entente n’a vraiment été
fructueuse que lorsqu’il s’est agi de barrer la route à un dictateur,
à un régime se déclarant activement anticommuniste.
Dans ce dernier cas les marxistes étaient toujours prêts
à faire les plus grandes concessions pour s’attirer la sympathie
de la plus grande frange électorale dite de gauche.
Mais cette entente n’a jamais pu être durable, le danger écarté,
car les mêmes raisons qui ont provoqué la scission de Tours
demeurent toujours.
Entre le P.C et le P.S., et à plus forte raison le M.R.G., il
y a non seulement tout un système économique fondamentalement
différent mais aussi un mode tout à fait différent
de Gouvernement.
Alors que le P.C., quoiqu’il s’en défende, est pour la dictature
du prolétariat (par chef interposé évidemment et
parti unique), le P.S. et le M.R.G. sont pour une démocratie
parlementaire. Et, alors que le P.C. ne conçoit la société
future que collectiviste, étatique, centralisée, rigoureusement
planifiée, le P.S et le M.R.G. restent attachés à
l’économie de marché.
François Mitterand ne s’en défend d’ailleurs pas, qui
le 22 septembre, place du Colonel Fabien, a déclaré à
Georges Marchais : « ...Nous partons de postulats différents.
Votre conception des nationalisations s’intègre dans une conception
de la société future qui n’est pas la nôtre »,
et le 30 septembre, à la télévision, à l’intention
de Jacques Chirac « ... Je ne suis pas marxiste ».
Pour les communistes, les nationalisations du programme commun doivent
être un engagement non réversible et même promotionnel
vers un étatisme intégral, alors que pour les socialistes,
elles ne sont qu’une façon d’acquérir, dans des secteurs
bien limités, la maîtrise du développement, et de
réduire le chômage, en maintenant en activité des
entreprises qui périclitent.
La cassure était donc inévitable au moment de conclure,
et on peut prédire qu’il n’y aura pas de soudure, l’enjeu étant
de taille.
Le temps n’est déjà plus aux révoltes pour le pain.
La sécurité matérielle ne hante plus, avec autant
d’acuité qu’autrefois, les esprits ; on est tenté de croire
qu’elle est désormais acquise ou en bonne voie de l’être.
Les sociétés bâties sur un schéma mathématique
ne passionnent que de moins en moins les progressistes.
Avec les écologistes on pense un peu plus à l’humain.
Ce besoin d’utopie (demain on rasera gratis) qui sommeille dans le coeur
de tout homme, s’il accouche épisodiquement encore de verbalisme
violent ou même d’incompréhensible terrorisme, ce n’est
jamais que par l’action d’une infime minorité.
L’audience importante que rencontre le mouvement écologiste prouve
que la majorité des hommes attache plus d’intérêt
à la qualité de la vie, à la protection de la nature,
à la liberté, au respect de l’individu et à son
indépendance, qu’au confort et à l’aisance assurés
par une mécanisation outrancière de la société.
Le courant régionaliste et décentralisateur qui s’amplifie
de plus en plus milite contre l’étatisme rigoureux des rêveurs
d’une société dirigiste, nationalement planifiée,
dépersonnalisée.
L’enjeu de la course qui s’engage entre le P.C. et le P.S. n’est donc
plus la victoire du programme commun. mais la suprématie d’un
parti sur l’autre.
Pour arriver à leurs fins les responsables de chacun des camps
délesteront leur programme de la plus grande partie de leurs
utopies au bénéfice d’un réformisme crédible
par le plus grand nombre même s’il s’engage dans des voies malthusiennes.
Les abondancistes doivent se garder de tomber dans le même traquenard.
Notre objectif primordial à ne pas perdre de vue, c’est la distribution
de l’abondance de telle sorte qu’elle ne soit plus une calamité
mais un bienfait pour tous. Notre premier pas. une monnaie naissant
avec la production et s’amortissant à la consommation.
Ce premier pas assuré, toutes les générosités
sont dès lors permises, et, ce qui semblait utopique et forcément
contraignant, apparaîtra d’une limpide facilité.