Il est temps de laisser le temps au temps


par  F. BEIDGBEDER
Publication : novembre 2001
Mise en ligne : 7 septembre 2008

La note de gaieté qui suit est un billet du chroniqueur littéraire Beigbeder paru dans le Monde du 17 aôut 2001. Ne défend-il pas, avec humour, l’économie distributive ?

L’une des plus grandes escroqueries du capitalisme aura consisté à faire croire à des milliards d’individus que le travail était un luxe, alors que le seul vrai luxe, c’est le temps. Il fallait le faire ! Parvenir, pendant tant d’années, à convaincre les humains que le chômage était une honte, une infamie, une humiliation, alors qu’il s’agit de l’état naturel de tout mammifère. Ce qui distingue l’homme de l’animal ou de la plante verte, c’est l’art, le rire, la pensée, mais certainement pas le travail.

Le travail ne nous rend pas supérieurs : étymologiquement, le mot vient de torture. Il y aura eu au XIXème siècle et au XXème siècle un hold-up gigantesque, un crime inconcevable : l’industrie nous a volé le temps. Proust est un des rares à l’avoir compris très vite : la seule activité digne de nous, désormais, c’est la recherche du temps perdu. Savait-il qu’il était d’accord avec le gendre de Karl Marx, le suicidé Paul Lafargue, auteur du Droit à la paresse ? Alors, comment redevenir oisifs ? Les 35 heures sont un progrès mais il faut aller plus loin. On peut utiliser les progrès technologiques pour supprimer le travail. Le XXI ème siècle doit changer de critères : cessons de souhaiter la croissance économique qui détruit la planète et de terrifier les gens avec la menace des licenciements.

Les paresseux vaincront !

Tout cela est absurde ! Le travail c’est l’esclavage (seul Big Brother affirme le contraire) ! La paresse c’est la liberté ! Créons un RMO (Revenu Maximum d’Oisiveté) qui sera financé par la taxe Tobin (Très Ouverte Banqueroute des Investissements Nationaux). Certes, je suis un piètre économiste, ayant raté l’ENA car je ne me suis pas réveillé le jour de l’examen. Mais je sais que la vie est courte, et s’achève dans une boîte en sapin. Il est hors de question que je prostitue davantage mon bref laps de temps sur cette terre. Ma durée de vie n’appartient qu’à moi. Que tout le monde démissionne ou se fasse virer le même jour !

Qu’on nous donne de l’argent pour lire et écrire, pour élever nos enfants, pour aller au cinéma, pour aider ceux qui en auront besoin, pour danser dans la rue mais pas contre de la sueur et des larmes.

La prochaine révolution n’opposera plus les salariés aux chefs d’entreprise, mais les travailleurs aux paresseux. Et les paresseux vaincront, car ils seront moins fatigués.