Pour une évolution constructive

AGRICULTURE ET ECONOMIE
par  J. MESTRALLET
Publication : avril 1980
Mise en ligne : 24 septembre 2008

Alors que les ministres de l’Agriculture des Neuf pays de la C.E.E. viennent d’échouer devant ce qu’on ose appeler le problème de la surproduction agricole, Jean Mestrallet estime que la distribution de revenus à tous ceux qui ont besoin de cette production sans avoir l’argent pour l’acheter est un excellent moyen d’introduction pour l’économie distributive : il pourrait constituer une « mesure transitoire » vers cette économie des besoins.

C’EST à partir des excédents agricoles et des autres produits de grande consommation que l’on peut suggérer une mesure transitoire. Il suffit, pour cela, de reprendre le projet établi par André Barillon, voilà une vingtaine d’années :
- augmentation progressive mais substantielle des bas revenus, en commençant par les « économiquement faibles » ;
- financement de cette augmentation par l’expansion monétaire et non par l’impôt.

« Que l’on ne crie pas à l’inflation ! Car en ne recourant pas à l’impôt, on peut véritablement bloquer les prix. Alors qu’en utilisant l’argent des contribuables à des fins multiples, pour stocker les invendus ou augmenter ses pensionnés et fonctionnaires, l’Etat provoque la hausse des prix. Inévitablement, les entreprises font passer les impôts dans les prix de vente  ».

J’en profite pour adresser une mise en garde aux agriculteurs  : qu’ils ne s’imaginent pas, surtout, résoudre leurs problèmes en augmentant les prix à la production ! Dans les conditions actuelles, ils ne peuvent qu’accroître la mévente. Seuls en bénéficieront les très grands exploitants à la marge bénéficiaire confortable.
Pour soulager un peu l’agriculture, il n’y a guère qu’un moyen  : diminuer la mévente, en augmentant la consommation.

Or, qui va augmenter sa consommation ? Certainement pas les hauts revenus.
Ce sont les gens qui se privent aujourd’hui... mais il faut leur en donner les moyens financiers.
Peut-être faudra-t-il quand même, pendant la période transitoire, opérer un réajustement des prix à la production ? C’est possible, sous réserve qu’il ne soit pas multiplié par le commerce et que la hausse des faibles revenus se poursuive jusqu’à disparition de la misère.
Elle entraînera du même coup une amélioration des revenus des agriculteurs. Ce qui est juste, car c’est une honte d’en voir autant réduits au S.M.I.C. ou à moins encore !...

On ne peut pas dire à l’avance combien durera la période transitoire. Elle aura une grande importance, car elle conditionnera la mise en place de l’Economie Distributive dans ses grandes lignes.
Quel que soit, d’ailleurs, le projet qui succédera au régime actuel, ses auteurs sont condamnés à réussir vite. Les premières mesures doivent apporter des progrès immédiats, sous peine d’échec. Celle que nous proposons offre l’avantage de ne rien bousculer, tout en améliorant fortement la situation. Il en résultera un climat favorable aux changements ultérieurs  : les intéressés pourront- ils refuser de maintenir et d’accroître l’amélioration ?

Comment fonctionnera l’économie une fois le nouveau régime en place ? Il est difficile de le dire à l’avance : comme le prévoyait Jacques Duboin, cela dépend de la situation à ce moment.
Mais nul besoin d’éterniser le débat là-dessus, de tomber dans cette manie politique des discussions sans fin. On peut, et on doit, imaginer des structures, sans pour autant les figer. Une fois adoptées, elles doivent fonctionner un certain temps pour savoir si elles marchent bien. Si c’est le cas on les maintient, sinon, on les modifie ou on les remplace. C’est une habitude à prendre en politique, comme on expérimente en sciences.
Il s’agit là d’un principe général. Pour l’agriculture, comme pour le reste, il faudra la participation active des intéressés eux-mêmes. En premier lieu, ils doivent bien savoir ce qu’ils veulent :
- une augmentation, ou un maintien de leur revenu ;
- la garantie de ce revenu ;
- un allègement de leur travail ?

Il est possible aujourd’hui d’obtenir les trois, mais pas n’importe comment. Les paysans ont droit aux loisirs comme les autres. Mais, comme nous l’avons vu, cela exige plus de monde à la campagne.
On pourrait s’inspirer de la méthode utilisée dans la Loire (voir G.R. de janvier), ou des G.A.E.C. (Groupements Agricoles d’Exploitation en Commun). Nous y reviendrons.