Au fil des jours
par
Publication : mai 1980
Mise en ligne : 30 septembre 2008
Les Etats-Unis sont-ils en train de devenir un pays socialiste ?
C’est en quelque sorte la question que se pose B. Brizay, qui vient
de passer six mois aux Etats-Unis pour réaliser une enquête
sur le « business américain ». Dans le livre qu’il
a tiré de son enquête : « Le patronat américain
», Brizay est tenté de répondre oui.
Il décrit l’hostilité au grand business de la majorité
de la population qui souhaite que le gouvernement réglemente
davantage la « libre entreprise ». On considère aux
Etats-Unis que les compagnies pétrolières sont encore
plus responsables que les « Arabes » de la crise du pétrole
et le public pense que ce sont les « grandes affaires »
qui sont responsables du chômage et de l’inflation. La grande
faiblesse du « big business » et de ses dirigeants (qui
ne manquent pourtant pas de moyens), c’est d’être en contradiction
avec les principes qu’ils prétendent défendre moralement
et économiquement : ils pratiquent des ententes et luttent contre
la concurrence toutes les fois qu’ils le peuvent.
« Réclamant la liberté au nom de l’intérêt
général, on les voit aussi intriguer auprès des
pouvoirs publics pour obtenir non seulement d e s commandes, mais des
subventions, des soutiens et des avantages de toute sorte. Résultat
: les réglementations font rage, le pouvoir des consommateurs
éclate, les tensions comme la révolte des minorités
ou l’idéal écologiste s’expriment avec prédilection
dans l’entreprise, vers laquelle convergent toutes les frustrations
de la société. »
Moyennant quoi :
« La « socialisation » va bon train. Le budget de
l’Etat a quintuplé en quinze ans. Les dépenses sociales
comptent pour plus de la moitié dans celui-ci, et elles ont augmenté
de 106 % en cinq ans. Washington possède deux tiers du territoire
des Etats-Unis. La moitié des savants du pays travaillent, directement
ou indirectement, pour le gouvernement. Les agences, les sous-agences,
les comités, les conseils publics et parapublics, ne se comptent
plus. »
*
Ce n’est pas en France qu’on verrait des choses pareilles. Dieu merci,
Barre et le patronat veillent. Et ce n’est pas la libération
des prix qui les fait monter, mais les méchants du Tiers Monde,
Arabes et autres, qui nous vendent le pétrole et les matières
premières de plus en plus cher !
C’est vrai, mais que pour une faible partie des coûts ainsi que
le montrent les enquêtes sérieuses : une fois enlevée
la part des combustibles et des matières premières, la
hausse du coût de la vie est maintenant de 11,6 % au lieu de 7,6
% l’an dernier et 5,8 % il y a deux ans.
Les véritables responsables de la hausse des prix ce sont Barre
et les entreprises qui ont intérêt à ce que les
prix augmentent : les entreprises parce que cela accroît leurs
bénéfices, le gouvernement parce que, par le biais des
taxes, ça augmente ses recettes.
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Quelques chiffres : en 18 mois le prix du pain a augmenté de
27 % , en 20 mois on a constaté des hausses de 28% sur la quincaillerie,
de 29 % sur les produits d’entretien, de 23 % sur !’automobile, de 22%
sur les articles de ménage et les pneus, de 18% sur le mobilier,
... En un an, pour les prix des services, on note des hausses de 21%
dans les stations-services, de 16 à 19 % dans les hôtels,
de 15 % dans les cafés et restaurants, de 14 % dans les garages,
... Les prix des transports, du gaz, de l’électricité
vont bientôt augmenter...
Selon l’I.N.S.E.E., la hausse des prix de gros a été (hors
taxes) de 9,6 % par an en 1978, de 14 % en 1979 et... de 15 depuis le
début de 1980.
Les salaires, eux, ne suivent pas le même rythme et le pouvoir
d’achat des salariés diminue et ça va empirer. Vive le
meilleur économiste de France !
*
Malgré la crise, les gains de productivité dans l’industrie française ont été de 6,3 % en 1979. C’est ce qu’a déclaré l’auto-satisfait Barre aux députés U.D.F., précisant que la croissance du produit intérieur brut avait été durant la même période de l’ordre de 4%.
*
Dans un article intitulé « La crise n’est pas ce que l’on croit » (Le Monde du 14 février 1980), A. Barrère, professeur à l’Université Paris I, explique : « La croissance française est partie à la recherche d’une position compétitive en vertu d’une croyance érigée en dogme : l’appareil productif devait être modernisé par substitution du capital au travail afin d’accroître !’efficacité de l’effort productif et d’abaisser les coûts par réduction des charges salariales. Mais on ne prit aucune mesure pour aménager les deux conséquences d’une accumulation élevant le raport capital/travail : la réduction du volume global de l’emploi résultant de la substitution de la machine à la maind’oeuvre, et la modification de la structure des coûts résultant de la substitution des charges du capital aux charges salariales. Le premier effet annonçait le chômage, le second, par un surprenant paradoxe, préparait l’inflation et. malgré la hausse des prix, la baisse de la rentabilité. »