L’AGCS, c’est reparti !


par  J.-P. MON
Publication : juin 2001
Mise en ligne : 30 septembre 2008

Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises [1] de l’Accord Multilatéral sur les Investissements (AMI) dont nous ne voulions pas et que nous avons réussi à faire partir par la porte de l’OCDE. Mais il revient par la fenêtre, grâce à l’OMC (Organisation mondiale du commerce), sous le masque de l’AGCS (Accord général sur le commerce et les services).

Le 10 mai dernier, la coalition des industries de services (CIS, États-Unis), du Forum des services européens [2] (ESF, Union européenne) et du Réseau japonais des services (JSN) a exhorté les membres de l’Organisation mondiale du commerce à engager le lancement d’un cycle commercial lors de la conférence ministérielle qui doit se tenir à Doha (Qatar) en novembre [3].

Son but est de “libéraliser”, c’est à dire en clair, de privatiser dans tous les pays adhérents à l’OMC tout ce qui peut générer du profit, y compris et surtout les services publics (éducation, santé, postes, télécommunications, électricité, gaz, chemins de fer, eau, etc.), sous le prétexte que le Privé étant plus efficace que le Public, tous ces services coûteront moins cher aux consommateurs. Pour vous en convaincre, une intense campagne de dénigrement des services publics est engagée dans toute l’Union européenne et le sabotage des services publics est entrepris par ceux-là même qui devraient le défendre. C’est notamment le cas de la Poste en France [4], qui met en place des restrictions d’horaires dans les petits bureaux et envisage d’en fermer un certain nombre, sous prétexte de redéploiement de personnel dû “aux 35 heures” [5] ou de mauvaise rentabilité financière… Plus globalement, suivant l’exemple de la SNCF, la direction de la Poste veut scinder ses diverses activités en branches indépendantes (finances, courrier, colis,…), ce qui rendra plus facile une privatisation par morceaux. Sachez qu’elle a commencé à vendre son patrimoine immobilier pour acheter d’autres entreprises proches de ses “cœurs de métier”, comme on dit joliment en technocrate, et que, selon Sud-PTT, les véhicules de la Poste ont déjà été cédés à BNP-Paribas. La Poste est un cas exemplaire, mais pas unique, de la démarche suivie pour démanteler le Service public.

Mais qu’est-ce que ce paradis des consommateurs que nous promet l’Agcs ?

En voici quelques exemples :

En Californie, la “libéralisation” de la fourniture d’électricité s’est finalement traduite par une augmentation considérable des prix et par des pannes de courant de plus en plus fréquentes, à tel point que l’État de Californie va racheter les compagnies de distribution ; en Grande-Bretagne, les catastrophes ferroviaires se succèdent depuis la privatisation des compagnies de chemin de fer, à tel point que les deux tiers des usagers en demandent la renationalisation ; l’épizootie de fièvre aphteuse et d’ESB sont d’abord la conséquence de l’abandon par les pouvoirs publics anglais des fonctions de contrôle et de surveillance dévolues aux services vétérinaires [6], et en ce qui concerne la fièvre aphteuse du démantèlement des réseaux publics d’alerte et de surveillance. En Suède, la privatisation de la Poste a engendré une hausse des prix de 72%, un recul de l’emploi de 25% et l’abandon d’une partie du réseau.

Voilà donc la réalité du paradis “libéralisé” offert aux consommateurs par l’AGCS.

Le bon élève

C’est Tony Blair, le Premier ministre britannique “travailliste” qui veut offrir à ces concitoyens ce paradis AGCS. Témoin son programme électoral pour « une société plus ambitieuse » [7] dans lequel, selon ses propres termes, il ne propose « pas de dogme ni d’idéologie », mais rien que de la « modernité et ce qui marche ».. Il s’agit de « libérer les talents britanniques », de développer « dès l’école, un esprit d’entreprise ». On dirait du Madelin… Il faut faire en Grande-Bretagne « une société moderne et forte avec une économie moderne et forte ». Et pour cela, un seul moyen : donner une large place au secteur privé. Il faut que les capitaux privés s’investissent encore plus qu’aujourd’hui dans la santé, dans l’éducation nationale, dans les transports, dans les prisons, … Il faut privatiser le contrôle aérien et le métro londonien. Pour “alléger” le système de santé et faire passer en 4 ans de 18 mois actuellement à 6 mois maximum le délai moyen d’attente pour voir un spécialiste ; une vingtaine d’hôpitaux très spéciaux, réservés à 3 ou 4 types d’interventions spécialisées, seront construits et gérés par des capitaux privés. La sélection dans l’enseignement secondaire sera renforcée et 40% des collèges d’enseignement général seront spécialisés d’ici 5 ans en faisant un large appel aux capitaux privés. Et toute cette “modernisation” se fera sans augmentation des impôts, ni pour les riches, ni pour les pauvres [8] mais les impôts indirects vont augmenter.

Espérons que les continentaux européens sauront, eux, résister !


[1Voir Grande Relève N° 975, mars 1998, 1001, juillet 2000, et 1005, décembre 2000.

[2Voir encadré p. 2. GR N° 1005, décembre 2000.

[3Le Monde, 17 mai 2001.

[4Son nouveau directeur général est depuis le 2 mai, Daniel Caille, ancien directeur général adjoint de … Vivendi !

[5Dont le but est, rappelons le, de créer des emplois…

[6Au plus fort de l’épizootie, la France a envoyé des vétérinaires en Grande-Bretagne pour pallier les insuffisances des services locaux.

[7Discours programme, Birmingham, 16 mai 2001.

[8Depuis 1997, le fossé entre les plus pauvres et les plus riches s’est encore accru.