Barre ? Non : Circus !
par
Publication : juillet 1980
Mise en ligne : 7 octobre 2008
Confidences recueillies par Jacques VEAU (ex Bonhomme) Français Moyen et rapportées par E.R. BORREDON.
Je pourrais, sans risque d’être contredit par l’intéressé,
attribuer cette boutade à Cicéron et continuant sur ma
lancée préciser que Cicéron c’est point Barre,
auquel cas rappelant Talleyrand au travers de Cambronne, conclure que
cela Bas de soie !
Mais glissons sur le contenu de ce dernier avec l’espoir que cela nous
portera bonheur !
Et revenons à nos moutons quoi qu’en pensent nos amis d’outre-Manche
qui n’ont certainement pu s’empêcher d’évoquer Waterloo.
En fait, il m’a paru honnête de vous donner des précisions
complémentaires sur ce que les historiens de mon présent
septennat désigneront sans doute comme le cas Barre.
Lorsque vous m’avez élu en 1974, je pensais sincèrement
possible un redressement rapide de la situation économique et
sociale de notre pays.
Après deux ans d’aggravation que trop d’entre vous étiez
tentés de mettre à la charge de mon incompétence,
j’ai dû me rendre à l’évidence que je ne pourrais
plus m’en tirer qu’en me mettant à l’abri d’une personnalité
providentielle d o n t personne ne serait en mesure de contester l’autorité.
Et c’est ainsi que j’ai été amené à faire
appel à la sommité qui est depuis mon Premier Ministre
et qui le restera, du moins je l’espère, jusqu’à la fin
de ce sacré septennat.
Voici d’ailleurs ce qui a emporté ma décision. Je cherchais
naturellement l’homme idoine parmi les spécialistes des sciences
économiques, me réservant le social qui est tout de même
davantage à ma portée. Je pris donc connaissance de leurs
publications caractéristiques et celle qui me frappa le plus
fut justement le Précis d’économie politique du professeur
de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de
Paris, Raymond Barre.
Je dois cependant avoue r qu’ayant entrepris de lire et d’assimiler
cette oeuvre fondamentale, je n’ai pu en dépasser les deux premiers
titres sur la quinzaine qu’en comporte l’ouvrage.
Il m’est apparu qu’il s’agissait d’une laborieuse compilation, consciencieuse
et appliquée, mais indigeste et sans ouverture d’esprit, sans
créativité, et présentant sans doute peu d’attrait
pour les étudiants qui suivaient les cours de son auteur.
Si un tel enseignement avait figuré au programme de Polytechnique,
je crains bien que je n’aurais jamais été admis au concours
de notre prestigieuse école ! Mais tout cela m’a confirmé
dans le choix d’un Premier Ministre dont j’étais assuré
que nul, parmi les autres membres du gouvernement et les élus
de la nation, ne serait en mesure, en se référant à
son oeuvre, de contester la compétence.
Sur ce point, comme nous le constatons depuis quatre ans, je ne me suis
pas trompé.
Notre économiste distingué poursuit sa route, sûr
de lui et de sa doctrine, buté sur les concepts d’une économie
de marché basée sur la rareté et la concurrence
sauvage, ignorant avec un orgueilleux dédain, quand il n’est
pas méprisant, les réalités humaines et techniques
qui condamnent tous les jours davantage ses conceptions.
Je ne donnerai pour exemple de ce comportement que la superbe ignorance
réservée par son enseignement au pionnier de l’économie
distribution Jacques Duboin, dont les conférences et les ouvrages
ont cependant marqué la moitié de ce siècle.
Mais Jacques Duboin n’était ni professeur, ni philosophe. Son
raisonnement était à base d’intelligence, de bons sens
et d’humanité, ce qui lui enlevait d’office toute valeur.
Où irions-nous si la totalité des êtres humains
pouvait bénéficier des facilités de vie qui devraient
raisonnablement découler des progrès des techniques de
production et de distribution, et s’il n’y avait plus en conséquence,
d’intérêt majeur aux promotions sociales par le savoir
faire et le savoir combiner, dont je suis personnellement, je le crois,
un exemple particulièrement convaincant ?
Que vous n’avez pas manqué de sanctionner par le vote qui, en
1974, m’a porté à la Présidence de notre République.