Égalité et fédéralisme
par
Publication : décembre 1980
Mise en ligne : 8 octobre 2008
DANS le dernier numéro de la « G.R. » j’ai été
particulièrement intéressé par l’article de Roland
Carpentier : « Le Fédéralisme en Economie Distributive
». Comme l’auteur, je crois qu’il s’agit d’un complément
nécessaire à la doctrine de Jacques Duboin.
Ses adeptes actuels donnent parfois l’impression de minimiser le fait
que l’Economie Distributive constitue une révolution touchant
tous les aspects de la vie sociale, toutes les relations interhumaines,
qu’elle est en somme plus radicale que ne le fut la révolution
léniniste.
Instaurer l’égalité économique revient non seulement
à détruire le capitalisme, mais à faire disparaître
toute forme d’inégalité dans tous les domaines et à
tous les niveaux. La notion d’inégalité n’est pas seulement
un incident de parcours dans l’histoire morale de notre race, mais un
concept enraciné en nous et sur lequel furent construits tous
les systèmes sociaux passés et présents. Tellement
enraciné qu’on le retrouve dans la plupart des sociétés
animales. L’égalité économique doit éclater
et se prolonger dans l’égalité morale sinon elle connaîtra
le sort des grands principes proclamés par la Révolution
française ou la Révolution bolchevique. L’Economie Distributive
ne postule pas simplement l’égalité, elle met les hommes
dans une position où ils sont effectivement égaux. Ou
bien ils acceptent le principe authentiquement et l’étendent
progressivement à toutes leurs conceptions, et le système
fonctionne, ou bien ils se contentent d’une acceptation de principe,
superficielle et l’on débouche très vite sur Une course
aux avantages les plus divers. Exactement comme cela s’est produit en
URSS et ailleurs.
Le seul contrepoids possible à nos tendances égoïstes
universelles réside en une totale liberté de choix. Je
choisis une vie sociale dans laquelle autrui est considéré
comme un complément indispensable et apprécié de
ma propre existence. Notre interdépendance n’aliène en
rien notre liberté puisque nous la recherchons comme gratifiante
; nous sommes donc parfaitement égaux et nul ne songe à
dominer autrui.
Un tel état d’esprit n’est pas du ressort d’un décret
administratif, il s’acquiert au sein d’une communauté vivante,
tissant entre ses membres des liens suffisamment personnalisés
et non coercitifs. C’est la définition d’une commune autogérée,
le contraire exact d’un Etat centralisateur et autoritaire.
Comme néanmoins la distribution implique l’existence d’organismes
distributifs, tant pour le travail que pour les revenus, le fédéralisme
décrit par R. Carpentier jouera ce rôle.
J’ai esquissé moi-même cette idée dans « La
Société Amicaliste » après avoir longuement
réfléchi à tous les aspects du problème
(1). Je ne connaissais pas alors les théories de Jacques Duboin
; lorsque j’en pris connaissance je compris qu’elles s’adaptaient fort
bien à mes conclusions mais qu’il pouvait être utile de
les compléter par une conception fédéraliste de
la société future. Comment peut-on imaginer qu’un Etat
auquel on remettrait le fantastique pouvoir de programmer, d’organiser
la totalité des activités économiques et de distribuer
la totalité des revenus, ne serait pas un Etat coercitif ? 63
ans après sa fondation, l’Etat soviétique donne-t-il des
signes de dépérissement comme le voudrait la théorie
marxiste ?
Il est d’ailleurs à remarquer que les Etats socialistes ou capitalistes,
peu importe, ne rejettent pas systématiquement toute forme de
fédéralisme. Il leur importe seulement de conserver le
pouvoir effectif et les relations de subordination.
Par les progrès techniques nous sommes entrés dans une
ère d’abondance potentielle qui change la totalité des
rapports entre hommes, en supprimant la nécessité d’écraser
le prochain pour survivre. Il nous reste à adopter les structures
sociales nouvelles, découlant de cette « Grande Relève
des Hommes par la Science ».
(1) Voir G.R. n° 773 et 774.