A propos de... techniques et capitalisme
par
Publication : décembre 1980
Mise en ligne : 8 octobre 2008
Sciences et Avenir (n° 402, août 1980) nous informe de certaines
innovations techniques dans le domaine de l’éclairage. La firme
Philips commercialise une ampoule contenant un petit tube fluorescent,
avec régulateur miniaturisé de tension et d’intensité.
Cette ampoule de 18 watts donnerait la même lumière qu’une
ampoule à filament de tungstène de 75 watts. D’où,
dit la publicité, une dépense de quatre fois moins d’énergie.
Toutefois, la nouvelle merveille coûte dix-neuf fois plus cher
que l’ampoule traditionnelle, et pèse 530 grammes au lieu de
35 grammes. Mais elle dure 5 000 heures.
Face à cette innovation technique, la General Electric (qui vend
la moitié des lampes à incandescence des États-Unis)
va lancer en 1981 l’ « Electronic Halarc », ampoule combinant
les vertus du filament de tangstène et celles de l’arc à
vapeur d’halogénures. Elle aussi doit durer 5 000 heures et consommer
trois fois moins d’énergie que les ampoules traditionnelles à
incandescence. La General Electric espère bien devancer Philips
dans le renouvellement des stocks.
Westinghouse n’est pas en reste et espère bien devancer General
Electric avec son ampoule à tube fluorescent qui durera 7 500
heures.
Enfin, la G T E Sylvania annonce de son côté pour 1981
une « Miniarc », contrôlée électroniquement,
qui fournira avec 40 watts la même lumière qu’une lampe
à incandescence de 200 watts.
—« o »—
La télévison s’est fait l’écho de cette guerre
des ampoules, en la situant dans le cadre de la compétition pour
les économies d’énergie, en laissant le soin aux auditeurs
d’apprécier l’intérêt que portaient les grandes
compagnies industrielles à l’intérêt général.
Mais ni la revue ni la télévision n’ont fait allusion
aux précédentes initiatives des grands trusts General
Electric et Westinghouse se sont efforcés pendant plus de 10
ans d’empêcher ou de retarder l’introduction des lampes à
fluorescence aux États- Unis (1). En 1939, General Electric demandait
à tous ses vendeurs de cacher que les lampes à fluorescence
économisaient des frais d’éclairage. E. Mandel cite le
cas d’une ampoule électrique supérieure, inventée
au début de 1930 et qui, selon les estimations, aurait économisé
dix millions de dollars pour les consommateurs, mais n’a pas été
mise sur le marché (2). Le même auteur reproduit la déclaration
de M.O.D. Young, qui fut président de la General Electric : «
Les capitalistes sages évitent d’exploiter de nouvelles inventions
et ne s’engagent que lorsque le public est prêt à une demande
massive. » (3)
C’est bien ce qui se passe maintenant, les circonstances sont favorables
pour ces messieurs.
Adret (4) rappelle que la firme qui a inventé les tubes fluorescents
ne les a mis sur le marché qu’après avoir découvert
le moyen d’en réduire le fonctionnement de 1 000 heures au lieu
de 3 000.
Ainsi, après avoir gaspillé le travail humain et prostitué
l’intelligence inventive au sabotage du progrès technique, les
grands patrons de l’industrie électrique se présentent
comme grands économiseurs d’énergie et bienfaiteurs de
l’humanité.
(1) A.A. Bright Jr. The Electric Lamp Industry, cité par E.
Mandel : Traité d’Economie Marxiste, Tome II, chap. XII.
(2) D’après Technological Trends, cité dans Lilley : Men,
machines and History.
(3) D’après Rupert Maclauron, Invention and Innovation in the
radio industry.
(4) Travailler deux heures par jour (Editions du Seuil, 1977).