Au fil de la crise


par  J.-P. MON
Mise en ligne : 30 novembre 2008

Reconversions idéologiques ?

Il y a quelques mois, ou même seulement quelques semaines, personne, à part les utopistes ou les ultra-gauchistes, ne songeait à remettre en cause le “marché”. Les choses ont l’air de changer rapidement. Quelques exemples :

• Un des premiers parmi les “mutants” est notre Président “libéral“ qui, si du moins on en croit ses discours, est en train de devenir un véritable altermondialiste anticapitaliste. N’a-t-il pas dit, dans son discours de Toulon : « L’idée de la toute puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. L’idée que les marchés ont toujours raison était une idée folle. Pendant plusieurs décennies on a créé les conditions dans lesquelles l’industrie se trouvait soumise à la logique de la rentabilité financière à court terme… On a laissé les banques spéculer sur les marchés au lieu de faire leur métier… », puis dans celui d’Argonay (Haute Savoie) : « S’il y a bien un fait majeur qui émerge de cette crise, c’est le retour du politique. L’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance publique est morte avec la crise financière ». Il a ensuite appelé à « un État plus actif dans l’économie, qui assume ses responsabilités, qui entreprend et qui investit ». Bien sûr, il ne s’agit que de discours et nous serions les premiers à applaudir en le voyant passer aux actes, par exemple, en renonçant à privatiser la Poste. Malheureusement, il s’est montré , jusqu’ici, plutôt “timide“ dans les mesures qu’il a prises. C’est ainsi qu’après avoir versé 10 milliards d’euros de quasi-fonds propres aux principales banques françaises, l’État, par le biais d’un montage juridico-financier spécieux, vraisemblablement inspiré par Michel Pébereau, ami très écouté de Sarkozy, a renoncé à siéger au conseil d’administration de ces banques, se privant ainsi d’un contrôle interne sur leurs activités et d’une option sur les éventuelles plus-values futures. Pourtant, d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, de traditions moins “étatiques” que la France, ont encadré les banques qu’ils ont nationalisées ou aidées. Un bon point cependant : le gouvernement français, sans trop s’en vanter, a l’air d’oublier le déficit budgétaire et la dette. Il est vrai qu’il devient difficile de continuer à proclamer que les « caisses sont vides », lorsqu’on fait bénéficier les banques d’un plan de soutien de 360 milliards d’euros. À moins que ça ne soit par lucidité puisque le Président semble admettre que : « Nous risquons d’être confrontés partout à la révolte des classes populaires et des classes moyennes qui rejetteront une mondialisation qu’elles ne vivent pas comme une promesse mais comme une menace ».

• En déplacement dans le Nord, François Bayrou trouve que Sarkozy se débrouille assez bien dans sa conduite de la Présidence européenne,mais il reste en désaccord sur le fond :« Sarkozy a dit tout et son contraire, chaque fois avec la même sincérité. Son modèle, c’est le capitalisme et la mondialisation. Ce modèle est aujourd’hui gravement lézardé. Je ne crois pas à la distinction entre un capitalisme financier et un capitalisme vertueux. Ce qui caractérise ce système, c’est la croissance des inégalités. Moi, mon modèle, c’est l’humanisme et la justice ». Précisant sa pensée, il ajoute : « Nous sommes entrés dans un cycle où la crise financière entraîne crise économique, crise sociale et crise politique […] Deux questions sont dans la tête de tous les gens. Tous ces milliards, d’où ils sortent, qui va payer ? Alors que pour les banques il n’y a pas de limites, pour nous il n’y a rien, de plus en plus rien. On ne peut plus se contenter de dire “nada” aux demandes profondes de la société. La crise provoque une obligation nouvelle de la part des pouvoirs publics. Qu’est-ce qu’une société où l’on considère que les banques sont plus précieuses que les gens ? »

• Pour en terminer avec ces “reconversions” idéologiques, ne voila-t-il pas que l’ex tout puissant Alan Greenspan, ancien Président de la Réserve fédérale américaine, qui, il y a encore peu, soutenait que « des marchés libres et concurrentiels sont de loin la meilleure façon d’organiser les économies, sans équivalent », fait aujourd’hui son autocritique. Auditionné à Washington le 23 octobre par la Commission chargée du contrôle de l’action gouvernementale, il a reconnu que la crise actuelle remettait en cause la supériorité du marché libre auquel il avait toujours cru : « Oui, j’ai trouvé une faille. Je ne sais pas à quel point elle est significative ou durable mais cela m’a plongé dans un grand désarroi ». Il a aussi admis « qu’il avait fait une erreur en croyant que le sens de leurs propres intérêts, notamment chez les banquiers, était la meilleure protection qui soit ». Poussé dans ses retranchements par le président de la commission qui lui demandait : « En d’autres termes, vous trouvez que votre vision du monde, votre idéologie, n’était pas la bonne, ne fonctionnait pas ? », Greenspan avoue : « Absolument, exactement. C’est précisément la raison pour laquelle je suis choqué, parce que cela faisait quarante ans et même plus que de façon très évidente cela fonctionnait exceptionnellement bien ».

Puissent nos économistes, pétris de certitudes, être, à leur tour, touchés par la grâce ! Amen !