Veuvage


par  P. VINCENT
Mise en ligne : 30 novembre 2008

Certains commentateurs ont avancé l’idée que le Président de la République serait devenu brusquement socialiste, à en juger par quelque propos. Qu’on se rassure, ni ces discours ni la “crise” n’ont arrêté ses “réformes”. Et si certaines sont présentées comme des modernisations fort attendues (par qui ?), d’autres sont plus discrètes :

Dans la situation présente, le gouvernement n’osera plus nous proposer ses retraites par capitalisation. Mais cela ne l’empêchera pas de vouloir continuer de mettre en œuvre des “réformes”* dégradant un peu plus nos retraites par répartition. Les difficultés actuelles lui fourniront au contraire un merveilleux prétexte pour nous faire croire à leur nécessité. S’il est trop tôt pour entrer en résistance contre des mesures que nous ne connaissons pas encore, par contre il serait temps que tout le monde prenne conscience de toutes les conséquences des précédentes “réformes”, ce qui n’est certainement pas encore le cas. Voici quelques précisions sur le bidouillage de nos pensions de réversion par le tandem François Fillon- Philippe Douste-Blazy qui en étonneront plus d’un.

Veuvage, Guide des droits et des services. Tel est le titre de la notice réf. 1203-02.2008 publiée par la Caisse Nationale d’Assurances Vieillesse et qu’illustre en couverture la photo de deux femmes sereines : “la veuve des villes et la veuve des champs” ou peut-être, vu la différence d’âge, une jeune veuve et une ancienne ex-épouse. Dans un décret d’application signé conjointement par Philippe Douste-Blazy, Nicolas Sarkozy et Hervé Gaymard paru dans le JO du 24 août 2004, pages 15238, 15239 et 15240 (la pagination partant du premier janvier, ces chiffres vous donnent une idée de l’hyperactivité de nos législateurs réformateurs et de nos administrations), la loi Fillon met en effet sur un pied d’égalité veufs en titre et ex-conjoints, y compris ceux remariés. Privé de vacances par Jacques Chirac pour réagir à une éventuelle canicule qu’il avait attendue en vain, tel Giovanni Drogo guettant l’arrivée des Tartares dans le roman de Dino Buzzati, Philippe Douste-Blazy avait trouvé cet autre moyen de s’illustrer : il avait occupé son mois d’astreinte à rédiger ce décret qui chamboulait tout le système des pensions de réversion auxquelles avaient droit les conjoints survivants.

Ce décret présente en effet la nouveauté d’introduire subrepticement, parmi les ayants droit, les ex-conjoints remariés, grâce à cette simple phrase, perdue au milieu de centaines d’autres : « Les mots “non remariés” après les mots “conjoints divorcés” sont supprimés. Merci pour eux s’ils peuvent effectivement en bénéficier.

Etes-vous sûrs d’être bien informés des conséquences sur les pensions de réversion de cette réforme des retraites ?

Savez-vous en particulier qu’elle permet de spolier, au profit de la CNAV, des veufs ou des veuves ainsi que des ex-conjoints non remariés d’une partie de leur pension de réversion ?

Sans doute n’avez-vous pas vu passer, parce que vous étiez encore en vacances, ce décret publié un 24 août, un choix hautement stratégique, comme de présenter des amendements devant les Assemblées à 5 heures du matin. Ce décret comporte une disposition d’apparence généreuse : il redonne droit aux ex-conjoints remariés, qui en étaient auparavant exclus, à une pension de réversion, du moins en théorie. Mais d’abord c’est un cadeau fait au détriment des autres ayants droit. Et d’autre part, comme ces anciens ex-conjoints remariés peuvent avoir d’assez confortables situations de fin de carrière ou toucher déjà une retraite, et que leur nouveau conjoint peut avoir lui aussi des revenus substantiels, ils dépasseront souvent le plafond de ressources au-dessus duquel ils ne peuvent prétendre à cette part de pension de réversion dont le veuf ou la veuve ou les autres ex-conjoints non remariés auront été privés à leur prétendu profit. Je suspectais bien qu’en pareil cas ce pouvait être la CNAV qui empoche cette part de la pension de réversion. Mais comme il me paraissait quand même étonnant que trois présumés “défenseurs de la veuve et de l’orphelin” aient pu s’entendre pour cosigner une pareille vilenie, je posai un jour la question à la CNAV. Sa réponse, datée du 21 février 2006, est sans ambiguïté : « Si les conditions de ressources ne permettent pas le paiement de la pension de réversion à l’un des conjoints, l’intégralité de la pension de réversion n’est pas versée à l’autre conjoint ou aux autres conjoints. »

Il s’agit donc bien d’une spoliation, au profit de la CNAV, du veuf ou de la veuve et d’éventuels autres ex-conjoints non remariés, ce qui bien sûr n’a jamais été dit tout haut et dont étonnamment personne ne s’est ému.

Mais l’histoire n’est pas finie.

Imaginez-vous que la CNAV a poussé l’amabilité jusqu’à répondre à une question que je n’avais pas posée et qu’il ne me serait pas venu à l’idée de poser. Ainsi m’a-t-elle apporté cette précision étonnante, puisqu’il s’agit d’une contre-mesure mettant un terme aux nouvelles dispositions que le même décret instituait : « Toutefois, au décès de l’un des (ex-)conjoints, le calcul de la pension de réversion est revu pour les (ex-)conjoints survivants. »

Dans quel but ce rétablissement tardif de leurs droits, des droits dont la suppression aura pu être entre-temps une source de rancœurs et de différends familiaux ? S’agit-il d’accentuer encore le malaise en essayant de mettre dans la tête des conjoints et ex-conjoints survivants que l’ex-conjoint décédé aurait été la cause de l’amputation de leur pension de réversion, alors qu’en fait celui-ci n’en aura rien touché et que cette part de leur pension ne servait qu’à renflouer la CNAV ?

Savante hypocrisie ou construction infantile, on ne sait à quoi attribuer des dispositions aussi incohérentes, certes globalement profitables à la CNAV, mais qui sont pour les familles, les ayants droit et les “n’ayant pas droit”, pour les notaires, et même pour la CNAV, une source de complications et de contestations fort dommageables.

Alors, que signifie le mot “réforme” ?

Voici la définition du dictionnaire Hachette : « changement apporté à une institution en vue de l’améliorer ».

Et celle du dictionnaire Larousse : « changement important apporté à quelque chose en vue d’une amélioration ».