Lettre ouverte à L. Jospin
par
Publication : décembre 1982
Mise en ligne : 7 janvier 2009
Les médias ont relaté que le Séminaire Socialiste
de Maisons- Laffite a reconnu la gravité de ce que vous continuez
à appeler la « Crise Mondiale » qualifiée
de « dramatique »...
C’est infiniment plus. Evolution sans aucun précédent
dans l’Histoire, elle a, sans jeu de mots, pris l’R de la Révolution.
En mai 1981, nous avons cru votre parti capable d’en maîtriser
l’analyse, de réduire inflation et chômage par un nouvel
équilibre, dans des expériences originales, inspirées
de générosité et d’imagination, loin des remèdes
orthodoxes appliqués aux crises cycliques d’antan. Quelque centaines
de milliers d’hommes et de femmes, lucides et pleins d’espoir, ont donné
à François Mitterrand, une courte victoire, bien loin
du « raz de marée » que vous avez tant magnifié.
Dans la foulée, c’est vrai, les législatives de juin vous
ont donné, au Palais Bourbon, la majorité. Confortant
notre espoir. Quinze mois après, vous vous engagez dans des chemins
si voisins de ceux de vos prédécesseurs, que, le 21 juillet,
André Bergeron se sentait « revenu 15 ans en arrière
». Acceptant l’idée de « Crise mondiale dramatique
», vous allez, bientôt, « apercevoir le bout du tunnel
» et, face au chômage, vous ne ferez pas mieux qu’eux. Chômage
irréversible sauf à accepter, et promouvoir, un changement
de mentalité et de civilisation.
*
Son caractère essentiel est la disparition, dans les pays industrialisés
(Occident, URSS, Japon) du travail humain assurant la production des
biens et services nécessaires à la satisfaction des besoins.
Dans ces pays, et de plus en plus, la plus grande partie de la population
trouve, dans la seule rémunération de son travail, le
moyen de « solvabiliser » ses besoins. La féroce
compétition économique internationale et le système
de rémunération du travail obligent au chômage ou
à une révision du système. Les pays industrialisés
font face à ce problème.
A l’Est, « il n’y a pas de chômage » (Pierre ZARKA,
député P.C. de Seine St-Denis). Les méthodes employées
ne sont pas celles de la démocratie française. Aux USA
et en Grande-Bretagne, Reagan et Thatcher appliquent rigoureusement
les règles du monétarisme cher au XIXe siècle.
Les grandes entreprises du Japon sont des modèles de réussite
sociale. Il n’en est pas de même des petites entreprises de sous-traitance.
Les médias insistent peu sur le développement de la misère,
le renouveau des soupes populaires, aux USA, en Angleterre, et au Japon,
où le chômage se développe plus vite qu’en France.
En France, la nécessité d’être compétitives
impose aux entreprises de diminuer les coûts et de promouvoir
Robotique, Bureautique, « Productique » (J.-P. Chevènement
le 22 juillet) donc, du moins dans un premier temps, de réduire
le travail des hommes.
Apparaît alors la quasi obligation de répartir ce travail
encore nécessaire. Apparaît aussi l’incompréhension
des syndicats français, frileux et corporatistes. Défense
de l’emploi - Maintien des avantages acquis, - Réduction du temps
de travail sans diminution de salaire sont autant de mots d’ordre inadaptés
à cette période difficile de transition socio-économique.
La France fait l’expérience de la pire des « Economies
duales ». Economie duale à l’Est avec internements et camps
de travail forcé, Economie duale au Japon avec la sous-traitance
impitoyable, Economie duale partout où l’indemnisation du chômage
crée un sous prolétariat d’assistés voués
au désespoir. C’est bien, après les camps de l’Est, la
pire de toutes. Elle frappe les jeunes mal qualifiés et les anciens,
trop jeunes pour la retraite. Elle mène au travail noir. A la
délinquance. Elle creuse, plus profond, le fossé des inégalités.
« Le Nouvel Observateur » a publié (1) un article
de Michel Bosquet intitulé « Travail : Requiem pour le
temps plein ». Remarquable par sa concision, il montre l’impossibilité
de retrouver, dans les pays industrialisés, le plein emploi.
Chemain faisant il cite cette phrase de Karl Marx :
« L’étalon de mesure de la vraie richesse sera non pas
le temps de travail, mais le temps disponible. Adopter le temps de travail
comme étalon de la richesse, c’est fonder celle-ci sur la pauvreté.
»
Beau sujet de méditation pour un syndicalisme dérapant
vers un corporatisme conservateur des avantages acquis !
Après avoir examiné diverses approches pour « percer
le mur du chômage », dont le travail à temps partiel
avec salaire adapté (Michel ALBERT le pari français),
Michel Bosquet résume ainsi sa pensée :
« Quand il y a de moins en moins de travail... pour le répartir
au mieux sur la population entière... il faut que le revenu distribué
cesse d’être fonction de la quantité de travail fournie,
pour devenir fonction de la quantité de richesse que la Société
choisit de produire. »
Il rappelle la solution de Jacques Duboin... à la méditation
des gens clairvoyants. La transition ne sera certes pas facile. Ni évidente.
Elle n’est pas impossible. Ce qui paraissait utopique il y a 15 ans
encore, peut devenir la réalité salvatrice de demain.
Dans son numéro de décembre 81, « la Grande Relève
» suggère de créer, dans le contexte « distributif
» une unité économique réservée, strictement,
aux chômeurs et à leurs familles. Le cadre, politique,
de la décentralisation, devrait permettre d’engager, avec les
volontaires, ce qu’on pourrait appeler une (ou plusieurs » «
expérience de laboratoire socio-économique ».
Cette idée a besoin d’être précisée. Pourquoi
ne pas attacher à son examen quelques-uns de vos spécialistes
?
Non, M. Jospin, ce n’est pas une Crise, mais une révolution boule
versante.
A. LIAUME
(1) N° 925 du 31 juillet 1982.